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Allemagne 4,40 € - Belgique 3,90 € - Canada 6,99 CAD - DOM 4,80 € - Espagne 4,30 € - Grande-Bretagne 6,30 GBP - Grèce 4,30 € - Italie 4,30 € - Liban 11 000 LBP - Luxembourg 3,90 € - Maurice Ile 6,30 € - Portugal 4,30 € - Suède 53 SEK - Suisse 6,50 CHF - TOM 960 XPF

Amy Adams la nouvelle star

d’American Bluff

Temples

4 garcons dans le vent

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M 01154 - 949- F: 3,50 €

No.949 du 5 au 11 février 2014 www.lesinrocks.com

i z z a r apa

voyeurs, voleurs... artistes

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cher Michel Sapin par Christophe Conte

T

u le sais comme moi, lesmois de janvier sont cruels pour les sapins. Quelques semaines plus tôt, tout le monde n’a d’yeux que pour leur stature orgueilleuse de prince des forêts et leurs atours de lumière, tant il est vrai qu’ils possèdent cet ensorcelant pouvoir d’écarquiller les pupilles de tous ceux qui veulent encore croire au père Noël et à la magie de lendemains qui chantent. Et puis, c’est inéluctable, quand les derniers lampions de la Saint-Sylvestre viennent à s’éteindre, on les retrouve gisant sur les trottoirs,

dénudés de leurs guirlandes, et les boules qu’ils ont ne scintillent plus. Tandis que leurs épines s’éparpillent dans le caniveau et plus encore dans l’indifférence, certains d’entre eux sont, par pudeur, emmaillotés grossièrement dans des sacs qui ressemblent à ceux dont on habille les macchabées. D’ailleurs, tu l’auras remarqué, Michelounet, le sapin est le seul arbre qui sert à la fois à donner des rêves aux enfants et à fabriquer des cercueils. Aussi, jusqu’au mois dedécembre on en était encore àcroire que la fête serait folle etl’avenir radieux, lorsque la promesse d’inverser la courbe

du chômage semblait en mesure d’être tenue. En tout cas, c’est ce que tu feignais de nous faire croire, t’agaçant même au besoin face auxpessimistes et autres briseurs d’illusions, un peu comme ces parents qui, au centre commercial, maudissent celui qui tire sur lafausse barbe de l’intermittent du spectacle auCDD précaire de vieux barbu à bonnet rouge. Entre nous, Sapinou, il t’a refilé unbeau cadeau empoisonné, lepère Hollande, en répétant toute l’année cet objectif dont tu te dois aujourd’hui d’assumer l’ajournement avec des éléments delangage dont on s’amuserait bien, s’ils n’étaient à ce point à pleurer. Genre: “L’augmentation du nombre dedemandeurs d’emploi a baissé.” Labonne blague. Un jumelage est envisagé entre le ministère duTravail et le Jamel Comedy Club ? Et la création de LOL Emploi, t’y as songé ? A ce propos, j’ai lu l’interview que tu as accordée au magazine Lui, un journal qui aime les courbes mais qui se fout bien de savoir si elles s’inversent. Et là, j’ai enfin percuté ! T’es un gros farceur en vérité ! Unsuper raconteur de blagues, paraît-il. Comme l’autre, là, leCasquanova de la rue du Cirque ! Mais, comme lui, tes obligations t’obligent désormais à réfréner cette envie permanente de rigoler parce que, dis-tu, “l’information instantanée sort totalement de son contexte la moindre blague. Orune blague n’a de valeur que dansun contexte, sinon un bon mot devient un gros mot”. Ben ouais, les mecs, on vous apas dit que c’était fini la récré desuniversitésPS à rigoler commedes bossus sur le best-of des vannes de cul de Jospin ? Si c’était une plaisanterie, le coup de la courbe, j’en connais quelques millions qui vont vous la remettre bien profond dans le contexte, lavanne, en imitant Jean Roucas aux municipales et aux européennes. Et là, ça ne fera plus rire personne. Je t’embrasse. Non, c’est uneblague. 5.02.2014 les inrockuptibles 3

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03 billet dur 06 debrief 08 recommandé 10 hommage Philip Seymour Hoffman 12 événement nouvelles voies féministes 16 le monde à l’envers 18 histoire2 20 à la loupe 22 la courbe 24 démontage 26 futurama 27 nouvelle têteBen Lerner 28 style 31 food 32 l’esthétique paparazzi

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alors que le président de la République lui-même vient d’en être victime, le centre Pompidou-Metz consacre une exposition aux voleurs d’images

Alison Jackson, Diana and Marilyn Shopping, 2000. Collection Alison Jackson/coutesy de l’artiste

No.949 du 5 au 11 février 2014 couverture Alison Jackson, Diana Finger-Up, 2000. Collection Alison Jackson/courtesy de l’artiste

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46 Temples psychédéliques quatre Anglais des Midlands renouent avec lerock multicolore et vitaminé

48 animaux de compagnie théâtrale un minifestival parisien célèbre les 10ans desmordants Chiens de Navarre

52 la méditation selon Fabrice Midal

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le philosophe conçoit cette pratique comme une politique de l’intime

la comédienne Amy Adams fait sensation dans American Bluff

58 Tao Lin, romancier trippant la nouvelle coqueluche des lettresUS confirme avec Taipei

Jessica Chou/Redux/Réa

54 la cote d’Adams

60 Marcel Ophuls, fils à papa 66 cinémas American Bluff, Un beau dimanche… 76 musiques Breton, Bosco Delrey… 86 livres Ron Kovic, Patti Smith… 94 scènes Krzysztof Warlikowski… 96 expos peinture et Photoshop… 98 médias au cœur des gangs marseillais…

photographie attribuée à Raymond Voinquel

rencontre avec l’auteur du Chagrin et la Pitié, qui publie ses mémoires

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se déconnecter de Facebook grâce aux inRocKs La semaine dernière, il était question de communautés d’amis et de plates-formes virtuelles, de réseaux sociaux et de collectes de likes. Bref, de Facebook. Relecture.

M

on cher Inrocks, “Facebook, 10ans. Comment un réseau social a changé nos vies”. Alors, là, pas du tout ! Je like pas ton statut, mon friend. Facebook n’a rien changé, tu m’entends ? Rien ! Avoir mon permis de conduire, des gosses, découvrir l’amour, le boulgour, le désamour, les chats, le salariat, le Lexomil, la MDMA, le jogging, Lost, voir mon meilleur ami crever, ne plus pouvoir fumer au resto, ne plus pouvoir fumer dans les bars, ne plus pouvoir fumer au bureau, ne plus pouvoir fumer chez moi, repouvoir fumer chez moi (le désamour, toujours), ne plus pouvoir fumer mon chat, ça oui, ça a changé ma vie. Mais Facebook aurait changé ma vie ? Cette plate-forme bleuUMP, ce“réseau social” à la con dans lequel à peine trois de mes 367amis ont été foutus de liker ma vanne ultrafine sur le rapport entre ma gastro aiguë et le virage social-démocrate de François Hollande ? Et puis quoi encore ? Quinze likes pour la photo du gosse de cette pouffe de Stéphanie, quarante-trois pour le chaton crétin d’une ex-débile, et trois pour moi ? Ri-di-cule. Un piège marketing, ce truc-là. Ils m’auront pas. Pour Eric Sadin, “le like, par son impact symbolique, représente le shoot quotidien sans fin suscité et espéré par le docile facebooker”. Pour se laisser altérer par Facebook, il faut être un “docile facebooker”, une Loana prête à tout dévoiler dans un loft virtuel pour un peu d’amour public. C’est à moi qu’tu parles, le philosophe 2.0 ? Talking to me ? Je ne me laisserai pas avoir. Résistance ! Comme dit Sadin, “c’est là que la notion de réappropriation doit recouvrir sa pleine valeur dans le refus de tout schéma expressif binaire”. Tu piges ? C’est “l’occasion saisie d’élaborer des plates-formes aptes à encourager l’amélioration mutualisée”. Tu vois l’idée ? Moi non plus. Une choré de mon fils remakant Thriller ! Çapeut marcher ça: ROMUALD, viens voir papa immédiatement ! Perdu dans la ville comme l’Islandais Asgeir dans Reykjavík, on voudrait recréer ce village imaginaire, où l’on serait “protégé par une petite communauté”. On croit pouvoir réconcilier les contraires: le village dans lequel nous existons aux yeux des autres, et la liberté qu’offre l’anonymat des grandes villes, puisqu’on peut s’extraire de la communauté d’un coup d’un clic. Seuls ou mal accompagnés, pourquoi choisir ? SurFacebook, la plupart ne sont pas des “conquistadors” faisant “destrucs héroïques”, comme Vincent Macaigne. Ils jouissent d’observer silencieusem*nt la communauté virtuelle dont ils sont le centre, parce que c’est leur page, leur timeline, leur communauté. Facebook, c’est l’“inscription de notre histoire personnelle dans une chronologie” numérisée pour toujours. Un présent à la valeur mesurable, quantifiable, et une immortalité dérisoire mais activée. Peut-être faudra-t-il se détourner de Facebook afin, comme le raconte Myriam Anissimov dans Jours nocturnes, d’emprunter les “multiples détours nécessaires pour s’émanciper desnormes et des carcans et enfin devenir soi”. Alexandre Gamelin

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une semaine bien remplie Célébrer des sorcières queer à Quimper, rugir et/ou miauler avec Fauve≠, revoir les films d’une des chefs op du cinéma, parcourir le monde avec de jeunes photographes au CentQuatre et découvrir Sotchi avant les Jeux.

plus loin

Military Highway, Gudauri, Georgia, 2013. Rob Hornstra/Flatland Gallery

The Sochi Project Les Jeux olympiques d’hiver s’ouvrent à Sotchi, une station balnéaire au climat subtropical cernée par les conflits politiques, ethniques et territoriaux. Une région complexe que le photographe Rob Hornstra et le journaliste Arnold VanBruggen ont pris soin de documenter de 2009 à 2013. Ils en ont tiré un volumineux atlas qui permet de comprendre les enjeux du Caucase. En septembre dernier, pour les remercier de leur travail, le gouvernement russe les a interdits de séjour. Ils n’iront pas aux Jeux. The Sochi Project –An Atlas of War and Tourism in the Caucasus de Rob Hornstra et Arnold Van Bruggen (Aperture), 408pages, 59€

holy colors Rétrospective Caroline Champetier à la Cinémathèque française Ce n’est pas un cinéaste mais une incontournable directrice photo que la Cinémathèque célèbre dans cette rétrospective, qui fait courir sur tout le mois de février la belle filmo de Caroline Champetier, de Garrel (Le Vent de la nuit) à Beauvois (Des hommes et des dieux, photo) en passant par Carax (Holy Motors). jusqu’au 23février à la Cinémathèque française, Paris XIIe, www.cinematheque.fr 8 les inrockuptibles 5.02.2014

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roar

en mouvement

Fauve≠ Cette fois, c’est la bonne: Vieux frères, le premier album de Fauve≠, est désormais disponible. Pour fêter ça, le collectif parisien s’est lancé dans un marathon comprenant une vingtaine de dates au Bataclan, à Paris, et autant dans le reste de la France.

Circulation(s) Faire découvrir le travail de 44jeunes photographes européens, voilà le credo du festival Circulation(s). Du Français Bruno Fert avec sa série sur les villes fantômes en Israël désormais effacées des cartes géographiques, au Britannique Todd Antony et ses pom-pom girls de plus de 70ans à Sun City en Arizona, cette manifestation révèle la diversité des écritures artistiques.

jusqu’au 7février à Paris (Bataclan), puis en tournée jusqu’en juillet www.fauvecorp.com

du 8février au 16mars au CentQuatre, ParisXIXe, et dans le métro parisien, festival-circulations.com

ding dong L’Heure des sorcières La sorcière, égérie queer ? C’est en partie la thèse que développe, dans la lignée des combats féministes et hom*osexuels des années70, la commissaire Anna Colin dans cette expo qui revisite de fond en comble l’imaginaire de la sorcière à travers les œuvres d’une vingtaine d’artistes contemporains –de Latifa Laâbissi à Jean-Luc Blanc en passant par Ana Mendieta ou Olivia Plender.

Todd Antony

Kiki Smith, Sitting with a Snake, 2007. Courtesy galerie Lelong

jusqu’au 18mai au Quartier, centre d’art contemporain, Quimper, www.le-quartier.net

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Philip Seymour Hoffman (1967-2014) Révélé par Paul Thomas Anderson dans Boogie Nights, oscarisé pour Truman Capote de Bennett Miller, l’acteur a été retrouvé mort dans un appartement de Greenwich Village le 2février. A 46ans.

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n acteur qui a joué le rôle du génial critique rock Lester Bangs a forcément droit à notre plus grand respect. C’était en 2000, dans Almost Famous, film en partie autobiographique de Cameron Crowe. L’ironie cruelle, c’est que Philip Seymour Hoffman a finalement connu un destin à la Lester, décédant prématurément à cause d’abus de diverses substances pas bonnes pour la santé. Rock’n’roll, amen. Doté d’un physique passe-partout d’américain moyen, légèrement enrobé, Seymour Hoffman n’était pas de taille à lutter avec ses pairs générationnels, Brad Pitt, George Clooney ou Johnny Depp. AHollywood, pour atteindre la top-list des cachets et des castings, il faut une gueule d’amour. N’empêche que par son talent hors norme, son impact physique, ses aptitudes transformistes et sa finesse, il était tout proche de cette A-list, finissant par décrocher des premiers rôles (7 h 58 ce samedi-là de Sidney Lumet, The Master de Paul Thomas Anderson…) et l’oscar pour TrumanCapote. Philip Seymour Hoffman est né dans l’Etat de New York, dans une famille culturellement et financièrement à l’aise (mère juge, père cadre supérieur). Ilcommence à étudier la comédie dès le lycée, puis poursuit pendant ses années universitaires, obtenant un diplôme à la NewYork University. Ses problèmes d’addiction à l’alcool et aux drogues apparaissent à cette époque et il fait ses premières cures de désintox. Comme beaucoup d’acteurs américains, il débute sa carrière à la télévision, dans un épisode de la série Law & Order, puis enchaîne les films: LeTemps d’un week-end, Hard Eight, le premier long métrage de Paul Thomas Anderson, ou encore Twister. Les spectateurs français le découvrent vraiment en 1997 dans Boogie Nights, deuxième film de Paul Thomas Anderson mais le premier distribué sous nos cieux. Dans ce film de troupe, on se souvient surtout du sujet, l’artisanat californien du p*rno, de la moustache virile et autoritaire de Burt Reynolds, du braquemart siffrédien de Mark Wahlberg (un postiche, rassurons nos lecteurs, mais décevons nos lectrices… ou lecteurs). Seymour Hoffman y partageait l’écran avec une foultitude de seconds rôles (Don Cheadle, John C.Reilly, William H.Macy, Luis Guzmán…) tous appelés à de fructueuses carrières, mais on pouvait déjà repérer ses cheveux longs, son embonpoint et son jeu truculent. Par contre, on ne devinait pas encore ce que serait l’impact de Paul Thomas Anderson ni le partenariat

au long cours que noueraient le cinéaste et celui qui deviendrait son comédien fétiche. En1998, Philip Seymour Hoffman continue d’enquiller les seconds rôles dans des films indé notoires. Dans le grinçant Happiness de Todd Solondz, ilest un type ordinaire sexuellement frustré, une sorte de personnage à la Houellebecq qui se confie à son psy en de longs plansséquences fixes. On le voit surtout dans le cultissime The Big Lebowski, remake slacker et farcesque du Grand Sommeil. Seymour Hoffman yjoue l’homme à tout faire du milliardaire que l’on confond avec le Dude. Miséreux sexuel ou serviteur obséquieux, drame ou comédie, intériorité ou extraversion, Hoffman excelle dans tous les registres. Il dégage une grande présence à l’écran, une indéniable puissance d’incarnation, son jeu oscille entre cabotinage savoureux et finesse et il est également doué pour transformer son apparence physique, du look baba cool de Boogie Nights à l’homme d’affaires de Lebowski en passant par le cadre moyen de Happiness. Dans les années2000, on le retrouve chez son ami Paul Thomas Anderson (Magnolia, Punch-Drunk Love –Ivre d’amour) et dans le film de Cameron Crowe sur le journalisme rock. On n’a pas connu le vrai Lester Bangs, on l’a seulement lu (et vu quelques rares photos de lui), et sur la foi de ces maigres indices, on peut dire que Hoffman rend correctement justice à son personnage, en pariant qu’il en fait plutôt moins que trop. On imagine Bangs fou furieux, déjanté, histrion, mais il avait sans doute aussi son côté plus cool et calme, celui que l’on découvre dans le film. En attendant, le temps passe, sa filmographie s’épaissit, et décidément, aussi bon soit-il, Philip Seymour Hoffman semble abonné aux rôles secondaires. C’est un excellent character actor, pas une tête d’affiche sur le nom de laquelle on monte un gros film. Et là, paf ! TrumanCapote. On ne sait pas avec certitude si c’est le meilleur rôle de sa carrière, mais c’est à coup sûr celui par lequel il accède à l’immortalité. D’abord, c’est un premier rôle, hénaurme, qui porte le film sur ses épaules. Pour Seymour Hoffman, une première. Ensuite, il joue un personnage célèbre, grand écrivain et figure médiatique de son temps. Et Hoffman met tout ce qu’il a dans le ventre et le cerveau pour incarner Capote à la perfection: mimétisme de la coiffure au costume, de la gestuelle à la voix et au phrasé précieux. Mais il ne s’agit pas seulement d’imitation et de ressemblance:

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Len Irish/Corbis

PhilipS eymour Hoffman en 2000

l’acteur injecte finesse, émotion et profondeur dans une performance qui est toujours à la limite du cabotinage, sans franchir la ligne rouge, car le cabotinage est réalisme dans le cas d’un personnage qui était cabotin dans la vie. Succès critique, public, Golden Globe et oscar 2006 à la clé. Cette année-là, Philip Seymour Hoffman atteint la top-list. Dès lors, les rôles tombent régulièrement, et on le convie même à participer à des blockbusters comme Mission: Impossible3 ou Hunger Games. Il brille aussi dans un autre film de troupe, le réjouissant et rock’n’rollien Good Morning England. La jurisprudence Capote se vérifie en 2012 avec TheMaster, cinquième collaboration avec le réalisateur de ses débuts. Hoffman yincarne un gourou charismatique, ce qui est sans doute le rôle tautologique idéal pour un acteur, celui où le pouvoir de séduction sur les foules doit coïncider, de l’acteur à son personnage. Le film confronte Seymour Hoffman à Joaquin Phoenix et c’est le premier qui

un jeu entre cabotinage savoureux et finesse

remporte le duel haut la main: la force tranquille, la pure présence sont infiniment plus effectives que la gesticulation et l’histrionisme non comique. Hoffman ne remportera pas de second oscar mais sera nominé dans toutes les listes annuelles mondiales. Le meilleur rôle de la filmo seymourienne est peut-être celui d’Andy Hanson dans 7 h 58, excellent polar un peu oublié de Sidney Lumet (et son dernier film). Il y joue le rôle d’un cadre financier aux abois qui projette de braquer la bijouterie de ses parents pour se refaire: pas de violence, pas de sang, et les assurances qui remboursent… Dans ce film tendu et dégraissé, Philip Seymour Hoffman livre une performance du même tonneau, fine, réaliste, dépourvue d’effets ou de gimmicks spectaculaires. Ily figure l’homme américain ordinaire en proie à des problèmes qui le dépassent, s’enfonçant en croyant s’en sortir, un peu à l’image de son compère William H.Macy dans Fargo, même si Lumet est loin du ton narquois et corrosif des Coen. Bien qu’acteur à succès, Philip Seymour Hoffman était peut-être aussi cet Américain banal, finalement mis à terre par des démons personnels qu’il n’aura pas su maîtriser. De grands rôles l’attendaient encore sûrement, il n’avait que 46ans. Serge Kaganski 5.02.2014 les inrockuptibles 11

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Arvida Byström

Arvida Byström: “Le rejet de notions telles que la transphobie, l’hom*ophobie, est indissociable d’une pensée féministe aujourd’hui”

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féministes nouveau genre Photographes, web-artistes, performeuses, une génération de jeunes femmes nées avec internet imagine un nouveau girl power numérique, ultra-sexué et jouant de la confusion des genres.

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in 2013, Instagram suspend le compte d’une jeune Canadienne. Son tort ? Avoir posté une photo de son maillot de bain dont dépassent des poils pubiens. Ironique pour un site qui comptait à ce moment 5 883 628autres photos avec “bikini” comme hashtag, mais vraie réussite pour sa propriétaire, Petra Collins, une artiste féministe en vogue à Toronto. Du haut de ses 21ans, elle fait partie d’une nouvelle génération de jeunes femmes –photographes, web-artistes, écrivaines, performeuses– déterminée à pointer les troubles du genre. Venues d’Angleterre, du Canada, des Etats-Unis et de Suède, ces internet natives (nées pour la plupart dans les années90)

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se penchent sur les problématiques de la sexualité version3.0. Elles cherchent à situer et à se réapproprier la place du corps féminin dans une configuration sociale où l’éducation sexuelle se fait sur Youp*rn.com, mais où, paradoxalement, le droit à l’avortement est plus menacé que jamais. Qui sont ces jeunettes, nées de mères nourries au Women’s Lib dès leur plus jeune âge ? Outre-Atlantique, la presse les appelle les “Next Wave Feminists”: une génération hybride, néo-hippie à bien des égards, mais qui croque l’informatique à pleines dents, tout en restant critique. Et qui a totalement assimilé la culture des gender studies (quasi mainstream dans la culture anglo-saxonne depuis le début des années2000) et se fait un plaisir de mettre en pièces

hétéronormativité et réseaux sociaux. Cette année, Petra n’a pas chômé: elle est aussi à l’origine du très controversé T-shirt réalisé en collaboration avec American Apparel. Illustré, il représente en gros plan la main d’une jeune fille se masturbant alors qu’elle a ses règles. Un carton commercial. “Ce qui m’intéresse, c’est tout ce que la société nous a appris à cacher”, dit-elle. Son allure de hipster –sans un poil de maquillage, mais portant des bijoux hip-hop et un crop top fluo– est emblématique d’une génération détournant les stéréotypes sexy et streetwear et “en quête d’une féminité plus fluide”. “Etre féministe aujourd’hui ne veut pas dire se caler sur les notions de 1968, mais détecter les nouveaux tabous et zones d’exclusion”, affirme Arvida Byström, une photographe

suédoise de 22ans qui vit à Londres et a de faux airs de Gwen Stefani période No Doubt. Son travail met en scène des garçons qui, en string ou en brassière, se maquillent en présence de leurs petites amies, et aussi des jeunes filles aux pattes velues. Son but ? Libérer la performance du genre et la pression normative de la société. “Le rejet de notions telles que la transphobie, l’hom*ophobie, est indissociable d’une pensée féministe aujourd’hui.”

“il y a quelque chose d’humoristique dans notre fascination pour l’apparence” Chloé Wise, artiste digitale

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Chloe Wise Emilie Gervais

Ci-contre, Emilie Gervais s’inspire des mangas Ci-dessus, Chloe Wise crée des parodies de publicités

Qui dit féminisme dit obligatoirement considérations sociale et ethnique pour Ananda Gabo, Sino-Canadienne de 20ans vivant à Toronto: “Aujourd’hui, les jeunes sont conscients qu’on ne peut pas parler du genre sans penser à ses interactions avec l’origine sociale et géographique.” La jeune fille vient de créer un jeu vidéo engagé où son avatar interroge la construction d’une identité métissée. L’informatique joue un rôle prépondérant dans ce mouvement naissant. Ces jeunes artistes, aussi appelées “digiféministes”, ont remplacé les pinceaux par des pixels. En plus des arts plastiques,

elles maîtrisent la programmation, savent mettre en place des sites interactifs, fabriquer des gifs animés et des images 3D, ou d’inspiration pop et vintage. Il en émerge une esthétique bien particulière. Emilie Gervais, née à Montréal mais basée à Berlin, a imaginé un site qui clignote façon années90 sur lequel elle met en scène des créatures inspirées de mangas ultra sexy. “Je me considère comme une artiste post-genre: grâce à la technologie, nous avons digéré les notions de genre et de performativité car tout le monde peut s’inventer une identité.” Son souhait:

“être féministe aujourd’hui, c’est détecter les nouveaux tabous et les zones d’exclusion” Arvida Byström, photographe

“Dépasser le soi physique comme on le fait sur internet, mais dans la vie de tous les jours.” Imitant les débuts des médias numériques, cette esthétique est souvent volontairement pauvre. Jesse Darling, artiste digitale basée à Londres, crée des gifs et vidéos à la qualité tricotée maison et se sert d’un type de programmation défini comme “technopovera”. Son but est la glorification d’une sorte de néoréalisme3.0 tournant le dos au néopompiérisme de l’image numérique ultra-lisse. Ses œuvres, qui mettent souvent en scène ses amis, son entourage, ou son propre corps, lui permettent “une production indépendante, loin de la sous-traitance des œuvres si fréquente dans le monde de l’art”. Son engagement féministe va de pair avec une pensée égalitaire et se présente comme la quête d’un monde et d’un art libérés de la domination du genre.

Autre point commun entre ces jeunes femmes ? Ce nouveau féminisme est souvent synonyme d’ultra-sexualisation. Elles apparaissent souvent nues, et leur démarche mêle regard critique et exhibitionnisme. Impossible de ne pas penser à une fusion improbable entre Marilyn Monroe et Marina Abramovic en contemplant les rondeurs souriantes de Karley Sciortino, performeuse, sexblogueuse et journaliste pour le Vogue américain. Cette blonde platine plantureuse aux airs assumés de pin-up ultra-sexy, se met en scène dans des vidéos où elle enseigne l’amour avec une fille, les relations SM et à trois ou encore une épilation intégrale du pubis. “Je voulais montrer la pluralité de la sexualité, et faire sauter les tabous autour des pratiques sexuelles annexes”, explique-t-elle. D’où des rencontres avec des stars

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Karley Sciortino

Karley Sciortino: “Faire sauter les tabous autour des pratiques sexuelles annexes”

du p*rno, des travailleuses du sexe, des fétichistes… “On assiste à un vrai renouveau du girl power, de la réappropriation de son corps. En tant qu’être sexué, curieux de tout, mais dont on garde le contrôle.” Même combat pour Myla Dalbesio, native de Pennsylvanie basée à NewYork, qui documente sa vie en ligne à l’aide de photos et de journaux intimes. Sans tabous ni frontières, on y voit ses amants ou amantes nus, son chien, ses toilettes, ses joints. Une façon de se réapproprier une culture Instagram où les barrières entre privé et public sont totalement effacées. Et les exemples de ce type se multiplient. Sandy Kim, Californienne de 27ans, s’inspire de Tracey Emin et pose nue, les cuisses écartées, un amas de pellicules photo entre les jambes. Sans oublier les photos du pénis de son partenaire sexuel après un rapport pendant ses règles. En parallèle, Sandy

Kim collabore aux magazines Purple et Vice. Paradoxalement, l’univers de la mode (bête noire du féminisme classique) ne leur fait pas peur. La photographe Coco Young, née à NewYork mais qui a grandi à Marseille, multiplie les autoportraits nus, mais n’hésite pas à jouer les mannequins dans le look book de la créatrice de bijoux Jaclyn Mayer. Dans un genre proche, Chloe Wise, artiste montréalaise de 23ans basée à New York, fonde son travail sur une critique de la consommation et du marketing (en imaginant par exemple des parodies de publicités pour des tampons en Oréo), ce qui ne l’empêche pas de réaliser des photos pour la marque Asos. Là, elle se met en scène dans un univers sea-punk caricaturant une publicité de mode traditionnelle. “C’est une chose de ne pas être d’accord avec la morale des grosses boîtes,

mais il y a quelque chose d’humoristique dans notre fascination pour l’apparence et les tendances. Les vêtements que nous choisissons sont une forme de ‘curating’ de soi.” Pour elle, l’art est loin d’être sacré, cette génération ne se fait pas d’illusions sur l’aspect marchand d’un secteur supposément à part: “L’art aussi est une marchandise et une source de publicité. Les artistes, eux aussi, sont des marques.” Les (petites) filles spirituelles de Judith Butler reprennent et amplifient ce lourd héritage idéologique grâce à leurs œuvres et à une mise en scène de soi qui introduit une dimension superludique et olé-olé. On se demande si grandma Judith les apprécie à leur juste valeur… Alice Pfeiffer www.slu*tever.com, www.chloewise.com, www.arvidabystrom.se, www.sandykim.com, www.emiliegervais.com, www.petracollins.com 5.02.2014 les inrockuptibles 15

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Ramzi Boudina/Reuters

le retour de la momie Vieilli, usé, fatigué, AbdelazizBouteflika se présentera-t-il à l’élection présidentielle pour un quatrième mandat ? Pour les vrais maîtres du pouvoir en Algérie, les militaires, il demeure en effet le recours idéal.

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ra, ira pas ? Le 17avril, les Algériens “éliront” un nouveau président, la seule question étant de savoir si Abdelaziz Bouteflika se présentera pour un quatrième mandat. Le fait que la question se pose, alors que le vieil homme malade n’a pas prononcé de discours en public depuis mai2012, montre combien cette élection est une affaire de calcul pour les vrais maîtres du pays: les militaires. Reconduire la momie présidentielle ? Les avantages sont évidents: Bouteflika affaibli est une aubaine pour des gradés qui ont toujours pensé que l’Etat était une affaire trop sérieuse pour être laissée aux civils. Et puis, on sait ce qu’on a… Surtout en ces périodes troublées où d’autres Arabes ont eu la mauvaise idée de secouer le joug de leurs régimes dictatoriaux. A commencer par le voisin tunisien. Pourtant, vu d’Alger, la Tunisie n’est pas vraiment un problème. Mettons de côté le mépris des généraux algériens pour leur “petit” voisin, pour en revenir à l’essentiel: la Tunisie n’a pas d’armée. Les militaires n’y jouent aucun rôle politique, ni économique. Evidemment, la réussite de la transition démocratique tunisienne est, pour le régime algérien, désagréable. Mais rien de plus.

Pour les généraux algériens, le vrai danger, c’est la Syrie ou l’Egypte. Deux pays où les militaires ont la main sur le pouvoir. Dans les deux cas, les généraux algériens ont pu constater qu’il était possible de déstabiliser l’ordre militaire. Or, les militaires savent que le peuple algérien est remuant et ne se font pas d’illusion sur leur popularité: un méchoui de généraux est toujours possible. Seule solution, vite trouvée: se défendre, donc s’armer. Il suffit de jeter un œil sur le budget de la Défense pour constater la panique qui a envahi la hiérarchie militaire. Entre 2003 et 2013, le budget de l’armée a progressé de 189 % ! Aujourd’hui, l’Algérie dépense plus pour son armée que l’Egypte (deux fois plus peuplée), ou même que l’Espagne (sept fois plus riche). Aelle seule, elle concentre plus de la moitié des dépenses militaires du Maghreb, et plus du tiers du budget

les militaires savent que le peuple algérien est remuant

de l’Etat algérien est consacré à l’armée et à la police. Un record inégalable. A quoi sert cette débauche d’argent ? Ase protéger d’ennemis redoutables ? L’Algérie n’en a aucun, même si ses généraux entretiennent la fiction ridicule du “danger marocain”. Et elle refuse de participer à toute action militaire en dehors de son territoire. Asécuriser les frontières du pays ? Selon le journal algérien L’Expression, ça coûte 10millions de dollars par an sur 10milliards de budget. Non, l’armée dépense pour faire face en cas de troubles à l’ordre public et elle se professionnalise: le service militaire passera de dix-huit à neufmois prochainement. Pourquoi inviter le peuple dans les casernes quand on cherche à s’en défendre ? Enfin, l’armée algérienne choie les siens: en 2012, les autorités ont augmenté de 40 % la solde des militaires avec effet rétroactif sur troisans. Les policiers, les douaniers et les gendarmes ont connu le même traitement. Ce n’est pas une élection présidentielle qui va déranger cet ordonnancement de matériels flambants neufs, d’uniformes astiqués et d’intérêts préservés. Alors, même au risque du ridicule, va pour la momie ! AnthonyBellanger

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histoire 2

Robert Pratta/Reuters

Vu pendant la Manif pour tous, dimanche 2 février à Paris

la jonction des extrêmes ? La polémique autour de l’enseignement d’une prétendue “théorie du genre” à l’école interroge le lien réel ou fantasmé entre l’islam radical et les milieux catho intégristes.

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imanche 2février, le flot des manifestants bleu blanc rose avance vers la place DenfertRochereau. Lecortège est très catho tradi. Au milieu, une maman voilée fend la foule avec ses deux filles. Malika, 42ans, manifeste son opposition au mariage hom*osexuel et à la “théorie du genre”. Ça ne la dérange pas de marcher auprès de potentiels racistes ? “Ha, c’est marrant, Paris Match m’a posé la même question”, sourit-elle. Depuis l’appel au boycott dans les écoles lancé par Farida Belghoul, ancienne militante de la Marche des Beurs, et son succès relatif dans certains quartiers populaires, une éventuelle convergence entre l’islam et les cathos intégristes excite les journalistes. Malika s’explique: “On est uni pour la cause, peu importe qui il y a derrière, même le FN. Onse bat ensemble et après chacun repart de son côté.” Jean, la soixantaine, l’aborde. Derrière, les haut-parleurs hurlent un

appel à une grande manifestation le 8mars (journée des femmes). “Je lui ai dit qu’elle était courageuse d’être venue”, rapporte Jean le catholique. Mais elle est bien la seule, ou presque. Les organisateurs ont tenté de mettre en avant les musulmans avec une banderole en français et en arabe: “LesFrançais musulmans disent non au mariage hom*osexuel.” Mais il suffisait de remonter le cortège pour constater l’inverse. “Il n’y en avait pas beaucoup en effet”, concède Jean avant d’ajouter: “Il faut faire l’union sacrée, ils sont nombreux maintenant.” Pour l’instant, la jonction est plus que timide. Il y a Camel Bechikh. Le président de l’association des Fils de France est un des porte-parole de la Manif pour tous. Proche des milieux de la droite souverainiste, il représente un courant musulman patriote. Hormis l’UOIF (Union des organisations islamiques de France), aucune instance musulmane n’a pris de position ferme pendant le gros des manifs contre la loi Taubira. Ala

Pentecôte, en2013, Frigide Barjot avait rencontré ses représentants juste avant d’être écartée. Avait-elle déplu à une partie du mouvement, à l’extrême droite raciste ? L’ex-égérie de la Manif pour tous a appelé ses partisans à boycotter la marche du 2février. “Il n’y a plus que des Versaillais catholiques”, tranche-t-elle avant d’ajouter: “Un parti catho est en train de se former pour faire élire Ludovine de la Rochère (la nouvelle boss – ndlr) aux élections européennes.” Si la jonction est quasi inexistante dans la manif, l’est-elle plus sur le terrain, notamment celui de l’école ? “Enune semaine, c’était l’apocalypse”, lâche Jade1 dans une sentence à résonance biblique. En une semaine, cette professeur des écoles a vu des parents avec qui elle entretenait de bons rapports insinuer qu’elle parlait hom*osexualité et sexualité avec ses élèves de 4ans. Le27 janvier, 40 % des gamins manquaient à l’appel. Jade exerce dans une commune des Hauts-

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“si défendre les enfants, c’est être FN, je prends ma carte tout de suite” Zouhair Ech Chetouani de Touche pas à mes gosses

de-Seine, une ancienne citée ouvrière en mutation où classe populaire et classe moyenne cohabitent. “Mais la majorité des parents d’élèves de mon école est issue de l’immigration”, explique-t-elle. Lasemaine précédant le boycott, elle observe d’étranges manèges devant l’école. Des attroupements matin et soir. Elle apprendra par une maman qu’un couple de parents “plutôt tradi catho” a fait monter la mayonnaise sur le genre. “Le père a été vu en train de recouvrir les grilles de l’école d’affiches de la Manif pour tous”, raconte Jade. Dans le giron des associations de défense de la famille traditionnelle, on trouve le collectif Touche pas à mes gosses. Lequel invite Farida Belghoul à s’exprimer sur “la théorie du genre” et l’ABCD de l’égalité lors d’une conférence dans le quartier nord d’Asnières, le11janvier. Zouhair Ech Chetouani et Alix, ses fondateurs, se sont rencontrés à la Manif pour tous. Alix, mère de cinqenfants et catholique pratiquante, est contre l’avortement et estime que l’homme et la femme sont prédéterminés par nature. Zouhair est le fondateur de Nimacho ni proxo, association créée en opposition à Ni putes ni soumises pour dénoncer la stigmatisation des garçons en banlieue. Ilrésume la ligne de Touche pas à mes gosses: “Casser certains clivages entre catholiques et musulmans,

histoire 1 Le 26janvier, Jour de colère rassemble ultradroite et militants de la Dieudosphère. Point commun ? Baston et slogans antisémites. Le 27janvier, à l’appel de Farida Belghoul, une centaine d’écoles sont perturbées par un appel au boycott pour dénoncer l’enseignement d’une soi-disant “théorie du genre”. Ce boycott vise en fait le programme ABCD de l’égalité qui lutte contre les stéréotypes fille-garçon. L’appel est diffusé par SMS: “Ils vont enseigner à nos enfants qu’ils ne naissent pas fille ou garçon, mais qu’ils choisissent de le devenir !!! Sans parler de l’éducation sexuelle prévue en maternelle à la rentrée 2014 avec démonstration...” Le 2février, la Manif pour tous s’oppose à la “familiphobie” du gouvernement.

quartiers chics et pauvres. On ne va pas régler les problèmes des banlieues en disant à mon fils qu’il peut choisir de vivre avec un homme. Et si défendre les enfants, c’est être FN, je prends ma carte tout de suite.” Au-delà de l’aversion des milieux religieux face à la remise en cause des rôles soi-disant sexués, le succès du boycott dans certains quartiers populaires s’explique aussi par la dégradation du lien entre les familles issues de l’immigration et l’école publique. Et plus généralement par la montée d’un sentiment antisystème dont le déclassem*nt des quartiers est le terreau principal. Dieudonné ou Farida Belghoul en font commerce: “Le capital de confiance envers l’école comme moyen d’ascension sociale s’est effrité. Avec l’échec scolaire et les débats sur le voile, l’école apparaît comme l’endroit qui discrimine”, analyse Franck Frégosi, directeur de recherche au CNRS. Parmi les premiers signataires du manifeste de Belghoul figure Béatrice Bourges, la présidente du Printemps français. Son action est soutenue par Civitas et Christine Boutin –qui s’est fait photographier avec sa nouvelle amie médiatique. Belghoul est surtout une prise de guerre du polémiste Alain Soral, fondateur d’Egalité et réconciliation, qui se revendique “national socialiste”, lui-même grand pote de Dieudonné et partisan d’une alliance avec la base. Mais ni Soral ni Dieudonné ne sont pour l’instant les bienvenus à la Manif pour tous. “C’est d’abord la France des beaux quartiers, une France blanche et catholique. Cette droite radicale est-elle prête à faire alliance avec les quartiers, et donc avec les minorités visibles ? Est-elle prête à payer ce prix dans son combat sexiste et hom*ophobe ? C’est ce que Soral essaie de faire avec Farida Belghoul comme avec Dieudonné. Reste qu’il sera difficile de concilier cette ouverture avec un discours xénophobe, raciste et islamophobe –et en particulier avec la dénonciation du “grand remplacement” racial dont parle Renaud Camus contre l’immigration: l’extrême droite devra faire des choix. Et il n’est pas sûr que beaucoup de musulmans se laissent séduire si facilement !”, estime le sociologue Eric Fassin. AnneLaffeter 1.Le prénom a été modifié. 15.09.2012 les inrockuptibles 19

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le retour de l’érotique toc Avec son adaptation à l’écran, le grand cirque promo autour de 50Shades of Grey reprend. Avec produits dérivés, chapelet de clichés, bondage et SM à la clé.

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Après de très nombreux produits dérivés (de la bande originale du livre, “parcours sensuel de toute beauté !” featuring Bach &Chopin, au kit “d’initiation aux plaisirs sadomaso et bondage”, enpassant par plusieurs collections de lingerie), voici donc le film. Dirigé par Sam TaylorWood, artiste vidéaste, photographe et réalisatrice du remarqué Nowhere Boy, choisie pour ce projet au détriment denoms bien plus fameux. Parmi eux, Bret Easton Ellis ou Gus Van Sant qui atourné un bout d’essai en avril dernier. Scène choisie: le dépucelage dela prude Anastasia avecle monsieur Grey enquestion, alors joué parAlex Pettyfer. Pas de quoi convaincre les producteurs, visiblement. L’un d’eux, Michael DeLuca, justifiait ce choix en juin, soulignant la “faculté unique (de Sam Taylor-Wood, donc) à mettre en valeur (…) les relations complexes ayant trait à l’amour et à l’alchimie sexuelle”. OK.

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50 nuances debillets verts Un peu comme on se prépare à une future gueule de bois en avalant une cuillère à soupe d’huile d’olive pour setapisser l’estomac, préparons-nous mentalement au retour du “phénomène 50Shades of Grey”. Roman érotique pour les uns, bluette tièdeet convenue pour lesautres, l’œuvre d’E. L.James s’est vendue à plus de 70millions d’exemplaires dans le monde. Ni une, ni deux, ces messieurs du cinéma (Universal Pictures), armés de tout leur courage et de toute leur audace, ont donc racheté, pourplus de trois millions de dollars, les droits dulivre. En voici la première affiche, début d’un teasing qui risque dedurer bien plus longtemps qu’une gueule de bois.

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50 nuances de série rose

50/50 mum p*rn et progressisme

L’affiche en camaïeu de gris donne à voir Jamie Dornan de dos. Une image plutôt chaste si l’on omet la Space Needle deSeattle qui se dresse fièrement au milieu du paysage contemplé par cemonsieur Grey. Mais au milieu de ces considérations phalliques, doit-on se réjouir de la présence d’une femme à la réalisation ? Rappelons que même s’il est signé par

une femme, ce sommet du mum p*rn qui, à en croire les magazines féminins, aurait été à l’origine d’une “révolution sexuelle dans les foyers américains”, déroule tout au long de ses différents tomes son chapelet de clichés. Parmi eux, le plus éculé, celui de la jeune femme fragile, naïve, malléable, dont le destin dépend d’un homme providentiel. Joyeuse Saint-Valentin ! Diane Lisarelli

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retour de hype

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz “si, je te jure, maintenant à la maternelle y a des cours pour apprendre à se servir d’une pipe à crack”

googlewithoutgoogle.com Agnès Varda à la galerie Obadia pour son exposition Triptyques atypiques

“tu trouves pas qu’elle en fait trop Beyoncé, franchement ?”

Katerine

Netflix en France

The Notwist

Friends

“tu préfères porter à vie le chapeau de Pharrell Williams ou avoir des dents en mousse ?”

les canistrelli Tarantino vs.Gawker les Victoires de la musique

“BUBUNNE !”

Vincent Lacoste en Thomas Bangalter

Vincent Lacoste jouera le rôle du Daft Punk Thomas Bangalter dans Eden de Mia Hansen-Løve, qui retrace sur vingt ans le parcours d’un DJ des années90. LesVictoires de la musique se tiendront le 14février avec, entre autres, Christophe Maé, Zaz ou Indochine. Pour tous les gens seuls,

“non mais jeconfonds toujours Marcela Iacub et Cristina Cordula”

une bonne soirée bien glauquasse en perspective. Netflix, fameux site américain de streaming, présenté comme le futur de la télé, devrait s’installer en France en septembre. “Tutrouves pas qu’elle en fait trop Beyoncé, franchement ?” Un peu quand même. Les canistrelli C’est bon. D.L.

tweetstat Lors du débat sur l’égalité hommes-femmes à l’Assemblée, Christine Boutin s’inquiétait du mélange des genres: Suivre

Christine Boutin @christineboutin

#loiegalitéhommefemme :pater familias supprimé, journalistes formatés, Institut visé , Sport obligé , politiques pénalisés!chgt civilisation 09:32 - 29 janv. 2014

Répondre

Retweeter

22Auteur % Samuel Huntington du fameux essai Le Choc des civilisations

Favori

67 % roue libre Hmmm

11 % Véronique et Davina Pour le sport obligé

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en chiffres

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Clara Palardy

Le nombre de morceaux qu’on trouve sur un album entièrement constitué de reprises du seul et même titre de Wire, Outdoor Miner.

manque de reprises Cœur De Pirate sort Trauma, album de reprises anglosaxonnes trop polies. Où la tatouée se fait sainte-nitouche.

le sujet D’habitude, l’album de reprises reste le symptôme des grosses pannes, le Viagra de l’inspiration demi-molle. Ou la carte de visite bâclée et hypocrite d’un(e) jeune premier(e) récemment décapsulé(e) par une émission de téléréalité, avant oubli et dur retour à la vie active –l’agriculture française a pourtant besoin de bras. Même David Bowie au sommet de la fulgurance et de l’excellence dans lesannées 70 avait sorti avec PinUps un album de reprises dans leurs petit* souliers, leur tournant autour alors qu’il avait la férocité sexuelle de les réduire àsa botte à talon compensé. L’exercice de la reprise nécessite un mélange d’intimité avec l’œuvre et de distance avec le créateur. Une fois viré le proprio, il faut squatter son intérieur, saloper lesmurs, ouvrir des fenêtres. Entre lesirrévérencieux forcenés, qui pensent que la pignouferie gratos fait figure derébellion et les premiers de la classe, qui fayotent en copiant la chanson jusqu’aux instruments originaux, les albums de reprises apportent rarement quoi que ce soit –si ce n’est une furieuse envie de claquer le bec à ces jeunes présomptueux et/ou gendres idéaux pour retrouver la magie des originaux.

le symptôme C’est pour une série télé nord-américaine –ce qui n’excuse pas tout– que CœurDePirate a enregistré cet album intermédiaire, Trauma. Mais trauma il n’y a pas: tatouée et délurée, Béatrice Martin enfile des chaussettes blanches,

des souliers vernis, se fait des couettes et prend le cierge, pour religieusem*nt enregistrer des reprises castrées dusoufre, de l’urgence et de la déraison de leur souffle initial –Libertines, AmyWinehouse ou Lee Hazlewood. Pourfaire sienne une reprise, il faut une voix autoritaire, une vision habitée de la musique, une personnalité écrasante etun désir viscéral de faire l’Anschluss. Sinon, c’est le dîner de cons: la chanson se moque de vous et de vos minauderies, de votre politesse empesée, de votre timidité, de votre godicherie.

le souci Malgré tout le bien qu’on peut penser deCœur De Pirate, Béatrice Martin nepossède ni la voix, ni la musicalité, nila fièvre pour se frotter à ceux qu’elle achoisi d’empailler plutôt que de domestiquer. Son univers, réduit, et sa voix, étroite, font merveille parfois dans ses chansons, taillées sur mesure pour ses limites. Le rock, la pop, c’est ça: cen’est pas du bel canto, on se débat avec le peu qu’on sait pour atteindre unegrandeur, sublimer ses faiblesses. Mais là, franchement, quelle idée dingue, quand on porte au quotidien du XS, de vouloir à tout prix s’endimancher en XL, de jouer à la maman, de traverser en touriste, sans jamais y laisser sa marque, des territoires écrasants pour les réduire à de simples et futiles tampons sur un passeport –Rolling Stones, Bon Iver ou Al Green. Elle s’appelle Cœur De Pirate, mais pour ce projet, elle aurait dû se faire cœur de parasite. JDBeauvallet

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Le nombre record de tribute albums honorant (?) David Bowie. Suivent de près Metallica (12) et les Beatles (10).

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Comme le nombre de tribute albums produits par le New-Yorkais Hal Willner, responsable de nombreux albums et concerts hommages, qui a été le grand rénovateur du genre dans les années 80. Il a notamment révélé JeffBuckley, jeune inconnu venu en 1991 chanter pour une soirée en hommage à son père, Tim Buckley.

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L’âge auquel Béatrice Martin/ Cœur De Pirate a commencé à jouer du piano. Elle ne pouvait donc pas en jouer debout, c’est peut-être un détail pour vous.

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le textile, matière vivante T-shirts et chaussettes connectés, chaussures vivantes, polos lumineux, les projets de vêtements intelligents se bousculent.

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euilles de vigne, puis peaux de bêtes, tissus mal coupés, étoffes habilement disposées, pourpoints, redingotes, faux cols, cravates, puis jeans, baskets et vestes cintrées, la mode change et la technologie contribue à son évolution. Dans notre XXIesiècle bricoleur, les vêtements suivent la tendance, se connectent et s’électronisent. Les usages, pour l’instant, sont un peu futiles, comme avec ce qui ressemble à une plaisanterie, mais n’en est pas une: la chaussette intelligente. Principal intérêt, l’objectif vers lequel l’homme a toujours tendu, celui qui mobilise l’énergie et les moyens de tous les peuples depuis la nuit des temps: retrouver, facilement, la deuxième chaussette de la paire en sortant le linge de la machine. La marque BlackSocks propose, avec ses chaussettes équipées de puces RFID, un boîtier qui connaît chacune d’entre elles. Quand vous en trouvez une, un signal sonore vous indique où se trouve la deuxième. Le sport fait beaucoup dans la recherche active des accessoires vestimentaires du futur. D’autres chaussettes ont été présentées à LasVegas début janvier. Elles permettent de calculer l’angle de votre pied sur la route ou la pression sur le sol. Les informations sont communiquées au smartphone et le coureur n’a plus qu’à les décrypter pour gagner de précieuses secondes lors de son footing matinal. Les équipementiers se ruent sur ces nouveaux gadgets. La société Cityzen Sciences met au point des textiles dotés de capteurs. Son prototype de T-shirt connecté mesure le rythme cardiaque, les accélérations, la position et l’altitude du joggeur ! L’année dernière, pour fêter ses 80 ans, la marque Lacoste a imaginé des polos dont les manches s’allongent ou raccourcissent à volonté, changent

de couleur d’une simple pression du doigt et s’allument dans le noir. Ces merveilles n’existent que dans la tête des designers de la marque –et dans celle de Robert Zemeckis, qui équipait Marty McFly, dans Retour vers le futur, d’un blouson aux manches réglables et pourvu d’une fonction séchage en cas de chute dans la fontaine de la ville. Plus spectaculaire: les chaussures vivantes de la styliste londonienne Shamees Aden, en partenariat avec un scientifique danois, elles sont (seront) fabriquées à base de protocellules, une matière vivante qui s’adapte à son environnement. Gluantes et vertes, elles épouseront la forme du pied et, en fonction du terrain emprunté, gonfleront ou se contracteront pour garantir un confort optimal. Vivantes, elles se régénèreront la nuit dans un liquide spécial. Les cordonniers se feront vétérinaires. La haute couture nécessitera non un mètre ruban, mais une pince à dénuder et un tournevis. Le fer à souder remplacera les aiguilles à tricoter pour confectionner le pull Zorro du cadet. La garde-robe consistera en une combinaison dont on sera vêtu à la naissance, qui grandira avec nous et s’adaptera au chaud, au froid, à la pluie, à notre humeur. Le futur ne laissera pas la mode au placard. Nicolas Carreau illustration Polly Becker

pour aller plus loin Sensoria Fitnees, les chaussettes intelligentes www.youtube.com/watch?v=8WJtEY-gl4M Le D-Shirt de la société Cityzen Sciences www.youtube.com/watch?v=JEEfS8R0EDk#t=49 La chaussure vivante http://shameesaden.com/PROTOCELLS

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Ben Lerner Un héros bipolaire, du sh*t, l’attentat de la gare de Madrid: cet écrivain américain signe un premier roman ambitieux, drôle et désabusé.

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onathan Franzen letrouve brillant. Paul Auster loue sa“voix singulière”. A 35ans, Ben Lerner, originaire du Kansas, apublié trois recueils depoésie et un premier roman, Au départ d’Atocha, qui paraît ce mois-ci: l’histoire d’Adam Gordon, un poète américain enrésidence à Madrid, quipasse plus de temps àsoigner sa bipolarité àcoups de fumette qu’à travailler à son vague projet littéraire. En toile de fond, la guerre en Irak et les attentats à la gare d’Atocha. Le personnage, sorte d’anti-Hemingway vivant à côté de l’histoire, emprunte des traits à l’auteur: comme Adam, Ben Lerner a desparents psychologues, a passé unan à Madrid… Atravers les errances désenchantées de son double de fiction, Lerner interroge subtilement lerôle de la littérature aujourd’hui, ses limites face au réel. Un adieu prometteur aux illusions.

Matt Lerner

ElisabethPhilippe Au départ d’Atocha (Editions del’Olivier), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jakuta Alikavazovic, 208pages, 21€ 5.02.2014 les inrockuptibles 27

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où est le cool ?

Stéphane Muratet

par Géraldine Sarratia et Dafne Boggeri

dans la “maison au bord de l’eau”

avec cette casquette à chevrons

plus de style sur les inRocKs Style style.lesinrocks.com

Chez Saturdays, surf-shop branché de Soho (New York), on peut rêver de houle aurayon planches de surf, se prélasser sur la terrasse extérieure en buvant unlatteou encore repartir aveccette casquette en laine à motif chevrons, relecture élégante et à zigzags d’undes modèles traditionnels maison.

En 1934, Charlotte Perriand dessine sa maison de vacances idéale. Elle l’imagine sur pilotis, avec deux chambres et un toit ouvert. Elle la nomme Maison au bord de l’eau. Al’époque, personne n’est intéressé parl’habitation, jugée “too much”. Grâce à un sponsoring deLouisVuitton, elle a finalement vu le jour lors de la dernière semaine Design Miami.

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chez Jenny Shimizu Plus sexy qu’une série pub TheKooples, ladernière campagne &Other Stories. Ledernier-né des labels créés par H&M met enscène Jenny Shimizu, mannequin androgyne star des nineties, et sa copine Michelle Harpe dans leur appartement new-yorkais. Ici en solo, Jenny porte imprimés et pièces colorées. Un style casual pointu et abordable. stories.com

en lisant Bad Day Couves monochromes très graphiques, interviews intimes et art de la conversation: tel est le co*cktail deBadDay, semestriel canadien arty créé par Eva Michon et Colin Bergh. Au programme de ce numéro, le réalisateur Paul Morrissey, le duo de stylistes Eckhaus Latta, le photographe Asger Carlsen. baddaymagazine.com 5.02.2014 les inrockuptibles 29

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photo Hassan Rahim, stylisme Jessica Willis

vous n’y échapperez pas

la femme marbrée En version3D, le marbre est redevenu gage de branchitude. Sous l’aspect blanc et lisse, que trahissent ses nervures ?

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ans un décor carrelé à l’esthétique postmoderne, cette jeune femme au teint pâle et à la pose altière nous fixe avec un air de défi. L’image est extraite d’Internet Souvenirs, la dernière collection de la jeune marque madrilène Shallowww, qui prend comme point de départ des imprimés popularisés par le net et les réinsère, via textile interposé, dans le monde réel. “Nous jouons sur la perte de relation entre le signifiant et le signifié dontsouffrent certaines images online”, explique SilviaPrada, unedeses fondatrices. Depuis un an, le marbre fait son grand retour. Il squatte boutiques pointues (Acne), catalogues

de déco et se fraye un chemin dans nos penderies et intérieurs sous une forme mutante, falsifiée. L’explication de ce retour est avant tout technologique, comme l’explique Pascaline Wilhelm, directrice du salon du textile Première Vision qui ouvrira ses portes le 18février: “Les nouvelles technologies d’impression textile permettent aujourd’hui de reproduire au plus près de la réalité et de jouer sur des supports non rigides pour ouvrir des étrangetés, drôles ou bizarres.” Digital, ce “faux marbre” traduit “la passion grandissante dans la mode actuelle pour le non-uni, le craquelé, le passage plutôt que la rupture: la binarité noir et blanc fait aujourd’hui pâle figure face aux tye and dye, sea-punk, délavés”. Le marbre personnifie également le floutage des frontières et l’extrême volatilité des signes contemporains: quand la haute couture cherche une nouvelle authenticité dans la culture de la rue (motifs tatouages chez Margiela, genouillères, bananes et sneakers chez Chanel), jeunes créateurs et marques de prêt-à-porter jouent quant à eux à détourner les codes du luxe, de l’estampillé “bon goût”. Pour une génération internet habituée au mouvant, à l’éphémère, ce faux marbre constitue également une façon d’incorporer la mémoire dans le présent, sans pour autant céder à la nostalgie. Anti-vintage, c’est un “ancien flambant neuf” prêt à être investi de toutes les nouvelles expériences. Car aussi sûre soit-elle de sa puissance et de sa distinction (n’est-elle pas, lisse et lumineuse, un peu trop bien pour son époque ?), la femme marbrée, telle une sylphide, laisse percevoir ses nervures. Alliance redoutable de noblesse et de fragilité mêlées, elle murmure son envie de se laisser sculpter, émouvoir, altérer. Géraldine Sarratia shallowww.biz

1988 Gianni Versace, designer connu pour avoir dit “Moi, j’habille les salopes”, imagine un hélicoptère surréaliste, où les jambes des mannequins deviennent une hélice géante, aussi graphique que symbolique. Ainsi, cet agglomérat de corps suggère-t-il un idéal féminin en2D, hom*ogène, dépouillé de ses contours identitaires.

2004 Alors que le Vogue français se délecte de son p*rno chic, Anna Wintour, à la tête de l’édition américaine, se place comme la gardienne de la bienséance nationale. Ces tops, lisses, proprettes, voire prudes –les quatre filles du docteur March version1.0– deviennent les mascottes de l’Amérique puritaine et conservatrice de George W.Bush.

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Instagram Joan Smalls

ça va, ça vient: le sandwich de mannequins

A mi-chemin entre touche-pipi et soft p*rn, cet étalage de tops –les mieux payées au monde– indique une perte de frontières entre leurs corps: ensemble, elles incarnent l’élite, et des millions de dollars. Et révèlent la clé de la popularité contemporaine: une symbiose agile entre Instagram et catwalk, fausse intimité et vraie gloire. Alice Pfeiffer

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08 949 30 Vous n'y echapperez pas.indd 30

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hot spot

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bouche à oreille

le biz des cookbooks de stars Le livre de cuisine est devenu la nouvelle vitrine du food business.

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e point commun entre EvaLongoria, Les Soprano, Pierre Perret, Coolio ou Gwyneth Paltrow ? Ils ont tous signé un ouvrage culinaire. Unepassion qui rapporte: cesecteur de l’édition est l’un des seuls àcartonner. En France, il a plus que doublé sonchiffre d’affaires entre 2005 et 2010, passant de 43,1 à 90millions d’euros (source: Syndicat national de l’édition). Dans la guerre contre la malbouffe, cesbouquins sont devenus l’outil indispensable de l’engouement actuel pour la cuisine. “De plus, il est toujours debon goût, ou aujourd’hui branché, d’enposséder dans son salon”, ditl’universitaire Nathalie Peyrebonne. “C’est un marqueur social, la preuve d’uncertain raffinement.” La food est tendance et certains de ses promoteurs sont devenus des stars. Cyril Lignac a vendu un million de livres dont 250 000 exemplaires du seul Ouichef ! Côté livres de cuisine popu, seuls ceux de Pierre Perret ou ceux àtendance régressive (Nutella, mugcake…) parviennent à concurrencer Paul Bocuse, Jean-François Piège ouJulie Andrieu ailleurs que dans les

rayons de supermarché. Aux Etats-Unis, où la gastronomie est moins sacrée, l’entertainment en a fait un produit dérivé. Desperate Housewives, Mad Men, Hunger Game, Harry Potter, Bob l’éponge ont leur livre de recettes, objets popculture ovniesques. Michele Scicolone, l’auteur de The Sopranos Family Cookbook, estime en avoir vendu dix fois plus que ses livres de cuisine lambda. Le cookbook est surtout un moyen pour certaines stars de faire fructifier leur image ou leur business. Sur un credo populaire, on trouve la confort food latino d’Eva Longoria, les recettes sudistes de la chanteuse country DollyParton ou la cuisine économe durappeur Coolio. Le livre de cuisine estaussi la vitrine du juteux secteur dulifestyle, mélange de bien-être, dereprésentation et de distinction sociale. Gwyneth Paltrow, actrice oscarisée, afondé en 2008 la compagnie en ligne goop.com, avant de publier en 2011 It’sAll Good. Jessica Alba et Cameron Diaz sont aussi sur le créneau. Aenviron 40ans, les trois actrices vendent destêtes saines dans des corps parfaits. Leurs recettes ? Elles sont dans leurs livres. Anne Laffeter et Sandie Dubois

’est le genre d’adresse que l’on aimerait garder pour soi. Apremière vue, l’espace blanc et épuré aux grandes baies vitrées accueille un concept arty, à la fois restaurant, galerieet librairie. Chiant et frigide ? Ne pas se fier aux apparences. Düo est un lieu sacrément excitant qui évite avec classe letape-à-l’œil. Calme, délicieux et pas cher: voilà la recette du commissaire d’expo Emeric Glayse et de l’équipe du Udo, barberlinois à deux pas. AuDüo, la cuisine est saine et raffinée, mélange de plats à tendance veggie et japonisants. Derrière une cuisine ouverte, la Franco-Japonaise Maori Murota (ex la Conserverie) fomente à midi des soupes démentes pour 3euros: miso de potimarron, navetet racine de lotus ou soupe aux ailes de poulet fondantes et des desserts maison. Puis, elle propose deux plats du jour façon bento comme un porc aux épices asiatiques et miel ou une galette d’algues etracines de lotus. Le soir, c’est tapas japonais. Goûter le cheesecake ou le brownie cerise est une expérience érotique. Le dimanche, c’est bondé car Düo propose un des meilleurs brunchs de la rive droite. A.L.

Düo 24, rue du MarchéPopincourt, Paris XIe. Le midi: plat 12€, formule 15€ ; le soir: plat 12€, tapas 4,50€ ; brunch 1 9€

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pulsions scoopiques Hasard du calendrier, c’est au moment où paraissent des photos volées du président de la République qu’une exposition au Centre Pompidou-Metz tente de définir une esthétique paparazzi. Ce phénomène, plus ancien qu’on ne croit, reflète notre rapport complexe aux stars et aux “seulement célèbres”. dossier réalisé par Claire Moulène et Jean-Marie Durand

Daniel Angeli, collection Cécile Angeli

Johnny, sortie de concert (1972) –Daniel Angeli Piégé. Derrière la vitre embuée de sa voiture, Johnny, ange déchu de 29ans cueilli à la sortie d’un de ses concerts, ne peut plus échapper à l’objectif assassin de Daniel Angeli. Véritables gimmicks de la photo paparazzi, les images de stars coincées dans leurs voitures sont pléthore dans l’histoire du genre. “Ce dispositif panoptique et quasi carcéral crée des conditions particulières de prises de vue”, note à propos des reflets et effets miroirs induits l’historien de la photo André Rouillé. Avant d’ajouter: “C’est là, sans doute, que l’esthétique de la photographie paparazzi est la plus manifeste.”

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Voilà une exposition qui tombe à pic ! Programmée depuis des années, la rétrospective du Centre Pompidou-Metz Paparazzi ! Photographes, stars et artistes montre et analyse tout un pan de la photographie populaire, la plus esthétiquement “pauvre” et la moins habituée des musées, celle des magazines people. Alors qu’une couverture de Closer a contraint le président de la République à une “clarification” sentimentale inédite, un coup de flash sur une Britney sans culotte se retrouve accroché dans une institution culturelle des plus respectables. Mais l’exposition de Metz ne se contente pas de prolonger la geste pop et warholienne –désormais balisée à l’excès, lassante à force d’être systématique– qui consiste à culturaliser des déchets, à les fixer tout en les recyclant vers le haut. En se gardant de tout moralisme, mais sans faire l’impasse sur leur économie de production –elles ne font finalement que répondre à notre irrépressible désir de voir, auquel répond à son tour le marché des célébrités–, elle explore comment ces images font partie de l’imaginaire collectif, comment elles sont devenues des parcelles de temps arrachées à l’oubli, des petit* morceaux de réel. Qui paraissent d’autant plus vrais et bruts qu’ils ont été dérobés sans consentement, plutôt que coproduits à des fins promotionnelles. Il y a un monde entre la nudité volée à Jackie Kennedy et celle qu’exposent complaisamment Kim, Britney ou Lindsay. Comme l’explique la sociologue de l’art Nathalie Heinich, la visibilité est devenue un capital, qu’il s’agit de faire fructifier quand on est dépourvu d’autres talents. Etre “traqué” par les paparazzi en dit beaucoup sur le statut social, la séparation de plus en plus marquée entre ceux qui ont le droit d’être vus et tous les autres, condamnés à l’invisibilité. Il n’empêche que la beauté désinvolte de JackieO. sur une île grecque répondait à la veuve courage de Dallas, au tailleur rose taché du sang de son mari. Entre les deux images, c’était encore toute une histoire. Alors que le pubis de Britney n’est même pas un scandale. Frédéric Bonnaud

exposition Paparazzi ! Photographes, stars et artistes du 26février au 9juin au Centre Pompidou-Metz, centrepompidou-metz.fr

Georges Dugognon / Collection familiale Georges Dudognon

poussières d’étoiles

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ourquoi faire entrer au musée la photo de paparazzi ? Clément Chéroux (commissaire de l’exposition Paparazzi ! et historien de la photographie) – Il y a déjà eu quelques expos muséales consacrées aux paparazzi, mais c’était généralement des expos monographiques. Les Rencontres d’Arles ont monté une expo Daniel Angeli il y a quelques années, la Fondation Helmut Newton a présenté à Berlin une expo autour de Jean Pigozzi et des paparazzi. Ron Galella aussi, le grand paparazzi américain, a bénéficié de quelques expos en galeries ou au musée. Ici, je crois que le projet est plus ambitieux, il dépasse le cadre monographique pour analyser un phénomène sous ses aspects historique, juridique, éthique et esthétique. Il s’agit d’aborder cette question comme un phénomène qui existe maintenant depuis près d’un siècle pour l’analyser. L’enjeu principal est de voir comment ce phénomène ultraprésent dans notre quotidien et dans notre imaginaire collectif pose des questions d’actualité, de société, éthiques et historiques sur notre rapport à la presse, à la célébrité, au voyeurisme, etc. Pensez-vous que le milieu photographique puisse être choqué ou surpris par la muséification d’un genre mineur, et même souvent délégitimé ? Les paparazzi intéressent les institutions depuis quelque temps déjà. La Tate Modern à Londres a présenté il y a quelques années une exposition intitulée Exposed consacrée au voyeurisme et dans laquelle il y avait une section dédiée aux paparazzi. Cela fait même

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Jean Pigozzi / Centre Pompidou, Mnam-Cci, Dist. RMN-Grand Palais / image, courtesy CAAC – The Pigozzi Collection

beaucoup plus longtemps que ces derniers sont entrés sur le marché de l’art, dès les années80 en fait, avec une forte accélération dans les années90 et 2000, où l’on compte beaucoup d’expos de paparazzi en galeries. Pascal Rostain et Bruno Mouron, par exemple, deux photographes bien représentés dans l’expo, ont commencé à exposer dans les galeries dès les années90. Cette reconnaissance du paparazzi est un phénomène qui était déjà en marche. S’il y a ici un seuil dépassé, c’est dans le sérieux que l’on accorde à ce sujet-là, l’ambition théorique avec laquelle on l’aborde. L’autre réponse est que cette prise en compte de la photo paparazzi fait partie d’une volonté d’ouverture du champ photographique. C’est une prise de position très générationnelle, que personnellement je défends: l’idée selon laquelle regarder la photographie uniquement dans ses productions artistiques reviendrait à restreindre le champ du photographique. Pour mieux comprendre la photographie, et en particulier le travail des artistes contemporains, il est nécessaire d’ouvrir le champ en regardant la photo de presse, la photo amateur, la photo spirite, la photo vernaculaire, le terme “vernaculaire” réunissant toutes ces pratiques connexes. Pourquoi, selon vous, est-ce important de prendre au sérieux cette pratique “pauvre” de la photographie ? Parce que précisément, depuis maintenant un siècle, les artistes importants –je pense à un Man Ray, un Moholy-Nagy, un Walker Evans aux Etats-Unis– n’ont cessé de regarder la photographie en dehors de ses productions artistiques. C’est une leçon des artistes

Greta Garbo au Club Saint-Germain, Paris (vers 1952) –Georges Dugognon Mick Jagger et Arnold Schwarzenegger, Hôtel du Cap, Antibes (1990) – Jean Pigozzi C’est sans doute le marqueur le plus évident de la photo volée: la main levée qui tente de barrer l’accès à l’appareil intrusif du paparazzi. Un geste de protection qui révèle, parfois plus qu’il ne la cache, la star offensée. “Aujourd’hui, le casque de moto est devenu le nouvel indicateur”, s’amuse Clément Chéroux.

dont il serait temps que les historiens, les commissaires, les conservateurs et les musées tiennent compte. Toute une partie de l’expo est consacrée à comprendre comment travaillent les paparazzi, leurs petit* trucs, leurs ficelles, le métier au quotidien. Mais ça n’est qu’une partie. L’un des enjeux majeurs est de comprendre comment s’est constituée une esthétique paparazzi et comment à partir des années60 et du pop art les artistes se sont emparés de cette esthétique. Comment Warhol, par exemple, a pu dire que pour lui les photos de paparazzi étaient les plus géniales au monde, comme Helmut Newton a pu dire que les photographies volées de Jackie Kennedy sur son île étaient parmi les plus fascinantes qu’il ait jamais vues. Par cette fascination et par cette appropriation, ils nous disent des choses sur la société du spectacle, sur le voyeurisme, sur la starification et même sur leur propre starification. Car on voit bien comment, à la fin du XXesiècle, les artistes eux-mêmes se transforment de plus en plus en stars. Finalement, c’est une façon de boucler la boucle. 5.02.2014 les inrockuptibles 35

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Courtesy Bruno Mouron/Agence Sphinx

Quel est votre rapport personnel à ces images ? Les analysez-vous du strict point de vue de l’historien ? Est-ce que, comme spectateur, ce sont des photos qui vous intéressent, qui vous touchent ? Elles m’intéressent, oui, mais elles ne me touchent pas. Je ne suis pas un lecteur habituel de la presse people, que j’ai en grande partie découverte àl’occasion de cette recherche. C’est un intérêt très théorique. Ce qu’il faut comprendre, c’est que la photographie paparazzi est une sorte de caricature de la photographie elle-même. Avec elle, tous les curseurs sont poussés au maximum: celui du voyeurisme, de l’intimité bafouée, ou celui de l’instant décisif, pour reprendre l’expression chère à CartierBresson. Il y a un certain nombre de questions qui se posent habituellement dans la photographie, que l’on retrouve ici augmentées, démultipliées. L’urgence de la situation, l’argent qui est en jeu, les questions d’actualité, etc. Ce serait un peu comme un médecin qui analyserait des symptômes. Là, on analyse àun endroit où le symptôme est à son paroxysme, on analyse des crises qui sont beaucoup plus faciles àcomprendre. Quels seraient les grands repères de l’histoire de la photo de paparazzi ? Quand est-ce que ça commence ? On associe souvent la naissance du “paparazzisme” àLaDolce Vita et à Fellini. Mais en fait, Fellini ne fait

que baptiser un phénomène qui existe déjà depuis quasiment un demi-siècle. Depuis le début du XXesiècle en fait, avec une naissance qui est consécutive au développement de la presse illustrée. Au XIXe, la presse était uniquement constituée de gravures. Pour des raisons techniques, on imprimait des gravures qui étaient les transcriptions manuelles de photographies. Avec le progrès des procédés d’impression photomécaniques, on commence à voir apparaître de la photographie directe dans les journaux à partir des années1910 aux Etats-Unis, et pendant la Première Guerre mondiale en Europe. L’explosion se situe dans les années20 et 30. C’est aussi à ce moment-là qu’on invente le concept de magazine, soit le renversem*nt du rapport texte/images. Les images priment et le texte vient en quelque sorte les pigmenter. Quels sont les premiers sujets ? Les mêmes qu’aujourd’hui: un politicien qui s’est retiré quelques jours dans sa propriété, que l’on épie derrière un mur ; une star de théâtre qu’on n’a pas vue depuis quelques mois et qui est peut-être malade ; certains procès ; la photographie volée de Bismarck sur son lit de mort. On est vraiment dans les configurations actuelles. C’est donc à partir du moment où la presse va devenir particulièrement gourmande en images, où les stars ne vont pas suffisamment fournir ellesmêmes de photos, que le phénomène va s’enclencher et qu’on va lancer des photographes à leurs trousses.

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Kate Moss lors de la fashion week, Paris (1992) –Pascal Rostain et Bruno Mouron Britney Spears sans culotte (2008) –photographe anonyme Star la plus photographiée après la mort de Diana, Britney Spears connaîtra jours de gloire et descentes aux abîmes. Cette image résume à elle seule la déchéance de la chanteuse pop, devenue star sans culotte avant de se faire raser le crâne. Une image détournée cent fois par les usagers du net qui y voient une version moderne de L’Origine du monde de Courbet. Quant à l’incontournable Kate Moss, elle connaîtra elle aussi l’envers du décor avec l’ image choc publiée en 2005 en couverture du Daily Mirror qui la montre le nez poudré de cocaïne.

4 mots-clés

Fame Pictures/Bestimage

gibier Flairer le gibier ou le laisser filer, sciemment. Le champ lexical des paparazzi recoupe celui de la chasse. “Sauf que, précise l’ex-paparazzi Francis Apesteguy, la proie, dans ce cas, a beaucoup plus de chances de s’échapper que vous de l’attraper. Et les règles sont claires, les stars savent qu’elles sont traquées.”

Hollywood est particulièrement important dès les années20/30 (c’est toujours le cœur de la pratique aujourd’hui), Rome aussi, dans les années50/60 avec les studios Cinecittà, puisque c’est là que sont les stars. En Italie, à cette période, il faut également noter le boom de la presse. Fellini baptise alors ce phénomène et les artistes commencent à y prêter attention. Aux Etats-Unis, c’est lié au pop art et à son goût pour la culture populaire. Warhol, par exemple, s’est tout de suite intéressé à toutes les formes de photojournalisme. C’est un moment crucial. On peut continuer l’histoire avec, dans les années80, l’explosion de la société du spectacle et, enfin, dans les années2000, le développement des nouvelles technologies avec internet, qui font aussi évoluer la pratique. C’est aussi le moment où la presse people se d éploie ? Oui, une presse people qui àpartir des années80 va de plus en plus loin dans l’intimité, dans l’ouverture du champ au monde du cinéma, au politique. Quel rôle joue le système judiciaire dans ce dispositif ? Est-ce qu’il intervient dès le début ? Dès les années20, on voit des articles qui commencent à critiquer cet envahissem*nt de la sphère privée. Mais le judiciaire fait véritablement son entrée dans les années60. Les législations sont différentes en fonction des pays. En France, la loi est très restrictive. Les photographes disent souvent

rats “C’est comme ça que les paparazzi s’appellent entre eux, raconte Francis Apesteguy. Moi, je disais que j’étais un chacal.” Une ironie de mise pour cette corporation souvent raillée au cinéma, “qualifiés de ‘créatures’ dans The Philadelphia Story, de ‘vermine’ dans The Public Eye ou de ‘parasite’ dans Paparazzi de Paul Abascal”, commente Aurore FossardDe Almeida (“Le Paparazzi à l’écran”, publié dans le catalogue de l’expo). courette La courette la plus tristement célèbre restera sans doute celle de Lady Di, un soir d’août 1997, sous le tunnel du pont de l’Alma. Prise en chasse par une douzaine de photographes, la Mercedes emplafonnera un pilier. La princesse et son amant, Dodi Al-Fayed, décèderont quelques heures plus tard. Neuf photographes seront mis en examen pour homicide involontaire et non-assistance à personne en danger avant d’obtenir un non-lieu, deux ans plus tard. strolling Le strolling, c’est l’art de flâner… et de croiser des stars. Très prisée à Los Angeles et Hollywood, les deux temples des paparazzi depuis les années2000, cette pratique renoue avec la photographie de contact de l’Italie des années60. Facilité par “une connivence entre chasseur et chassé”, le strolling, “c’est moins de l’information que de la communication”, écrit l’historien d’art Michel Guerrin dans le catalogue de l’exposition. De la com’ en chair et en os pour des stars, de Paris Hilton à Kim Kardashian en passant par l’incontournable Britney Spears (la star la plus suivie après la mort de Diana), sous contrat avec des marques de lunettes ou de maillots de bain. C. M. 5.02.2014 les inrockuptibles 37

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qu’ils peuvent travailler tranquille aux Etats-Unis mais qu’en France, c’est l’enfer. Et puis il y a des stars qui attaquent systématiquement et d’autres qui ne le font pas. Peut-on identifier des moments-clés, des moments de rupture, dans cette histoire de la photo paparazzi ? On pense bien sûr à l’épisode de la mort de Lady Diana dans lequel des paparazzi ont été impliqués... Dans l’exposition, nous traitons cette question àtravers sept figures féminines. En fait, on se rend compte, quand on commence à travailler sur cette question, que c’est une pratique genrée. Les paparazzi sont la plupart du temps des hommes et leurs proies sont des femmes. On commence avec Liz Taylor qui a eu une histoire particulière avec les paparazzi,

on continue avec Bardot pour qui ça a représenté de grands moments dans sa carrière, ensuite on passe à Jackie Kennedy qui a eu quasiment une histoire avec un paparazzi, Ron Galella, qui avait développé une relation d’amour/haine vis-à-vis d’elle. On poursuit avec Stéphanie et Caroline de Monaco, puis Lady Di, et on finit avec Paris Hilton et Britney Spears. Ces figures nous semblent caractériser des moments différents de la pratique. En q uoi ? Liz Taylor, c’est le premier baiser qui fait scandale dans la presse italienne. Brigitte Bardot, c’est le début du harcèlement, la traque. Des films ont évoqué cela, comme le court métrage de Jacques Rozier en 1963, Paparazzi, sur le tournage du Mépris de Godard, ou le film de Louis Malle, Vie privée, qui parle déjà

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Les photographes attendant Anita Ekberg au pied de la passerelle de l’avion (1959) –photographe anonyme (agence Pierluigi)

Coll. Michel Giniès / Courtesy Michel Giniès, Reporters Associati

On a coutume de dire que la photographie paparazzi est née à Rome à la fin des années 50. S’il est vrai que c’est bien Fellini qui, dans LaDolce Vita, baptise cette pratique avec l’ingénieuse invention du terme “paparazzi” (contraction de papataci, petit* moustiques, et de ragazzi, les jeunes hommes), la photographie paparazzi fait en réalité son apparition bien plus tôt, dans les années1910 aux Etats-Unis, et les années20 en Europe, avec le développement de la presse magazine.

de la mort entraînée par une horde de paparazzi. Cette traque continue avec Caroline et Stéphanie de Monaco, en allant même encore plus loin puisqu’elles ne peuvent pas bouger un doigt sans être photographiées ; leurs photos de naissance sont vendues aux enchères ; elles reçoivent dès le berceau le paparazzisme en héritage, avec une mère actrice déjà très impliquée: il y a là une concrétion entre le milieu des stars et les milieux de la royauté. Jackie Kennedy, elle, incarne les premiers procès, avec Ron Galella ; Lady Di, c’est le harcèlement jusqu’à la mort, avec des paparazzi directement impliqués dans une course-poursuite infernale. Quant à Britney Spears et Paris Hilton, c’est un autre moment du paparazzisme, qui correspond au développement des nouvelles technologies. 5.02.2014 les inrockuptibles 39

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Courtesy Ron Galella et A. Galerie

Jackie Onassis et Ron Galella sur Madison Avenue, New York (1971) – Ron Galella Brigitte Bardot se promenant à Saint-Tropez (1975) – Daniel Angeli Deux des stars les plus traquées du XXe siècle, rompues à la photographie paparazzi, presque imperméables à l’agitation alentour. Jackie entretiendra toute sa vie des relations complexes avec les paparazzi et en particulier Ron Galella, que l’on voit ici poursuivre sa proie. Quant à Bardot, elle fut la star malgré elle du documentaire Paparazzi que Jacques Rozier réalisa en 1963 sur le tournage du Mépris.

Peut-on, à partir de ces figures légendaires, identifier quelques tournants esthétiques au sein du ge nre ? Cette question est traitée en filigrane dans l’exposition: l’évolution d’un style est perceptible, comme le passage du noir et blanc à la couleur. Il existe aussi un type de moment. Les débuts de la photo paparazzi sont en prise avec ce que Cartier-Bresson appelait “l’instant décisif”: les paparazzi cherchaient vraiment à obtenir une image qui résumait toute la situation ; une image qui traduise immédiatement l’histoire d’amour à travers un baiser, un geste, un regard… Aujourd’hui, ils sont moins dans cette quête et font ce qu’ils appellent du strolling, c’est-à-dire une “promenade” (lire mots-clés page 37). C’est autant la promenade des photographes qui se baladent à côté de la star que la star elle-même qui se promène: Britney Spears qui va acheter son coca, essayer des fringues dans une rue de Los Angeles. Continuellement suivie par les paparazzi, elle en joue aussi. C’est une sorte de parade continue. Pour en revenir à la nomenclature

photographique, on n’est donc plus dans l’instant décisif à la Cartier-Bresson mais dans une photographie des “temps faibles” à la Raymond Depardon, qui lui-même a commencé, dans les années60, par être paparazzi pour l’agence Dalmas. On a, dans l’exposition, trois photos de lui poursuivant Brigitte Bardot. La photographie du strolling, du temps faible, ne vise plus à saisir l’acmé d’une situation ; c’est plus une attestation de présence. Comment analyser cette transition entre la tension d’un moment et ses temps faibles ? Je crois que cela est en grande partie dû à la situation des médias. Aujourd’hui, la téléréalité a imposé l’idée que les stars, ou les pseudo-stars, sont accessibles en direct ; on peut les voir en train de dormir, de faire n’importe quoi ; cet impact de la téléréalité sur notre rapport avec les stars se perçoit dans cette photo du strolling. On ne cherche plus l’extraordinaire, les stars dans leurs activités, mais une prise directe sur leur quotidien.L’évolution du style de la photographie de paparazzi se perçoit dans cette manière de mettre les stars en scène. Le passage du flash et de la frontalité avec la star à l’âge du téléobjectif et de la distance, est-ce aussi une manière de représenter l’évolution entre deux registres esthétiques successifs ? Il a toujours existé deux types de rapports du paparazzi à la star. Il y a deux manières d’opérer: soit de loin, sans se faire voir, soit au flash dans la proximité, ce qui permet de produire une image où la star réagit au paparazzi. Cette ambivalence, présente dès les débuts, s’est perpétuée. Il existe encore des photographes fidèles à ce registre coup-de-poing,

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Daniel Angeli/Bestimage

à la tradition de l’apostrophe ; et d’autres qui restent à distance. Cette évolution esthétique se traduit, à mon avis, ailleurs: si vous regardez la presse, c’est flagrant. A la une des magazines d’hier, vous aviez la photo du baiser ; aujourd’hui, dans la presse people, on a surtout des séquences, une sorte de romanphoto, où aucune image n’est exceptionnelle ; on voit les stars marcher ; les images de François Hollande et Julie Gayet en sont une illustration. Ces changements sont-ils aussi liés au développement des téléphones portables, au fait que les stars se prennent elles-mêmes en photo ? Est-ce que cela entrave le travail des paparazzi ? Certes, on a tous un téléphone, il existe des sites de partage en ligne, on fait de plus en plus appel aux amateurs ; mais est-ce que pour autant on coupe l’herbe sous le pied des paparazzi ? Aucun photographe amateur n’aurait pu produire les images de Hollande et Gayet dans Closer. Il faut des moyens logistiques, techniques ; ce sont des enquêteurs, des professionnels aguerris à la planque. Le développement du “tout le monde photographe” va peut-être faire augmenter le nombre des images, mais cela n’empêchera pas que des coups méticuleusem*nt élaborés continuent à exister. Au contraire, ces paparazzi, qui sont prêts à louer un appartement, une grue ou un hélicoptère, ont encore de beaux jours devant eux. Peut-on identifier un profil de paparazzi ? D’où viennent-ils ? Sont-ils des vrais photographes au départ ou sont-ils déjà des filous, des sortes de voyous sans foi ni loi ? Votre question révèle une part de mythologie. La façon dont vous les décrivez confirme que s’est

développée depuis des années une vraie mythologie du personnage paparazzi. Elle commence avec Fellini qui crée le nom, qui dit lui-même des choses: le mot “paparazzi” est constitué de pappataci, petit* moustiques, associé à ragazzi, c’est-à-dire un jeune homme, ou razzi, les éclairs du flash ; peu importe la vraie version, en tout cas, le paparazzi pique, tournoie, il est petit et violent. Depuis l’invention du terme par Fellini, des films et des romans ont construit une image populaire du paparazzi: il est souvent un peu raté, débonnaire, il habite dans un appartement sombre, il est prêt à tuer père et mère pour gagner de l’argent… C’est la version populaire, le cliché. Cette mythologie imprègne la conscience collective. Il incarne aussi, en creux, le double négatif du reporter de guerre, qui lui est le preux chevalier défendant la vérité au prix de sa vie –alors que leurs méthodes sont proches. On a le côté obscur de la force face au chevalier moderne. Dans les faits, on se rend compte que les choses sont plus complexes. Beaucoup de reporters de guerre sont des paparazzi, par exemple. On l’a vu avec l’affaire LadyDi: Jacques Langevin, le paparazzi incriminé, de permanence à Gamma ce jour-là, a appris l’accident sous le pont de l’Alma, et y est allé. Il s’est fait traîner dans la boue après, alors qu’il a photographié luimême la guerre d’Irak et bien d’autres conflits encore. Nick Ut, qui photographie Paris Hilton sortant en pleurs du tribunal, est le photographe qui a reçu en 1973 le prix Pulitzer du journalisme pour avoir photographié la jeune fille brûlée au napalm au Viêtnam. Dans les faits, les photographes s’adaptent à un marché, à une demande. Il faut donc se méfier de la mythologie: tous les paparazzi ne sont pas des salauds. 5.02.2014 les inrockuptibles 41

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Diana and Marilyn Shopping (2000) –Alison Jackson

Courtesy Alison Jackson

Il y a quelque chose qui cloche dans cette improbable virée shopping de Diana et Marilyn datée de l’an 2000. Mise en scène par l’artiste anglaise Alison Jackson, qui interroge nos pulsions scopiques et notre fascination pour la célébrité, ce fake réunit deux des stars les plus pistées du XXesiècle. L’affaire Diana –sa mort à la suite d’une course-poursuite sous le tunnel de l’Alma en août 1997– estune rupture dans l’histoire de la photo paparazzi, avec la mise en cause judiciaire d’une dizaine de photographes.

Il n’y a donc pas de profil type du paparazzi… Non, on ne peut pas dresser un portrait-robot du paparazzi. Pour l’exposition, on a mené des entretiens avec certains d’entre eux: aucun ne répond la même chose à chaque question. Il y a de vraies différences en fonction des générations, des caractères, des consciences professionnelles… Par rapport aux écarts générationnels, il me semble qu’il existe surtout des cultures politiques différentes. Chez certains paparazzi, engagés dans les années 70, on sent une volonté paradoxale de s’élever contre la société du spectacle. Certains prenaient leur appareil photo par l’objectif, comme s’ils s’en servaient pour faire un coup de poing américain, pour la castagne. Car un de leurs plaisirs était de provoquer les stars, de se battre avec elles. Ils possédaient une rage contre le système des stars d’un jour. Certains d’entre eux sont des situationnistes qui s’ignorent. Ils détestent la société du spectacle. Au fond, ils dénoncent un système qu’ils alimentent eux-mêmes. Oui. Je ne pense pas qu’on retrouve cet ethos dans la génération actuelle. On est loin de cet engagement politique des années70. Sont-ils fiers de se retrouver au musée ? Très fiers. Certaines de leurs images sont vraiment extraordinaires, de toute beauté. Il n’y a aucun doute.

Il est important d’ouvrir le champ de la photographie, je le répète, jusqu’aux pratiques pauvres de la photographie. L’histoire de la photographie est riche d’un champ artistique évidemment crucial, mais elle nous révèle aussi qu’il n’y a pas besoin d’un artiste derrière la caméra pour produire des images de toute beauté, comme le disait déjà Susan Sontag ; la situation, le hasard, peuvent rendre belle une image. C’est pour cela que je ne parle pas d’art paparazzi mais plutôt d’une esthétique paparazzi. Quels pourraient être les paramètres de cette esthétique, qui ressemble souvent à l’esthétique des photos ratées, floues, décadrées, mal éclairées ? Certaines photos ratées deviennent, quelques années après, des photos réussies. En travaillant sur l’exposition, j’étais au début fasciné par ces images de mains devant le visage, des images iconiques, qui signent cette pratique ; on s’est rendu compte que les paparazzi n’aimaient pas trop ces images car on ne voit rien derrière ces mains ; j’étais donc attiré par des images périphériques. On a ainsi décidé de montrer l’évolution des pratiques courantes du paparazzisme. Mais je ne réduis pas les meilleures photos à des photos ratées. L’esthétique paparazzi est d’abord une esthétique contrainte: le fait d’être perché haut dans un arbre, travailler à toute vitesse, main levée, au flash, enregistrer les reflets parasitaires des vitres d’une voiture que l’on suit… Dès le pop art dans les années60, jusqu’à l’époque du post-modernisme et de la pictures generation, avec des gens comme Cindy Sherman, les artistes ont immédiatement identifié cette esthétique et se sont emparé de ces codes dans leurs propres productions: le coup de flash qui aplatit l’image, le téléobjectif qui écrase les plans, le geste que Richard Hamilton reprend dans ses peintures à la fin des années60… On a redoublé les travaux des artistes en mettant en évidence les codes de cette esthétique paparazzi. Des artistes actuels, comme le collectif autrichien G.R.A.M., l’artiste anglaise Alison Jackson, Olivier Mirguet qui récupère les photos ratées dans les agences de presse… On met en évidence une esthétique, mais au-delà de l’appropriation de cette esthétique, des discours se mettent en place sur la société du spectacle, l’hypermédiatisation, la fascination pour les stars, l’envie d’en devenir une, le voyeurisme… Inviterez-vous François Hollande au vernissage ? Oui, ça devrait l’intéresser. propos recueillis par Claire Moulène et Jean-Marie Durand à lire Voyeur de Pascal Rostain (Grasset), 240 pages, 17€

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Julián Barón, C.E.N.S.U.R.A., novembre 2011 / Collection Julián Barón

profession: célèbre La visibilité médiatique est devenue un capital à gérer. Et le “gibier” des magazines à scandales est le plus souvent consentant.

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es paparazzi forment le symptôme du règne de la visibilité tel qu’analysé par la sociologue Nathalie Heinich, auteur en2012 d’un essai sur la question, De la visibilité (Gallimard). “Agents du capital de visibilité”, ils“n’existeraient pas sans le phénomène de la visibilité médiatique”, avec ses corrélats: “Le désir de consommer, non seulement les images des vedettes, mais des images donnant accès à leur intimité, y compris contre la volonté des intéressés ; le développement des supports de presse de plus en plus spécialisés dans la commercialisation de ces images ; et l’invention technique d’instruments capables de capter des images à grande distance, donc à l’insu des sujets, avec le téléobjectif à très longue focale”, écrit-elle dans le catalogue de l’expo Paparazzi !.

Les paparazzi font commerce d’une “appétence extrêmement répandue pour l’intimité des gens en vue”, explique la sociologue, pour qui la visibilité s’est imposée comme une “valeur”. Une valeur paradoxale car critiquée pour ses défaillances morales, sa vulgarité, son insignifiance. “La philosophie, le droit, la morale, la politique et le souci des écarts hiérarchiques se conjuguent donc pour opposer à une consommation de la célébrité qui ne cesse de se développer les digues d’une condamnation par le monde savant de pratiques perçues comme essentiellement populaires, iconophiles et idolâtres.” Comme si se rejouait la querelle sur le “culte des saints” des premiers temps du christianisme. Ce qui a changé, comme le rappelait l’historien Peter Brown, c’est que ces figures protectrices sont maintenant des

“êtres humains”, poursuivis par des “intercesseurs” obsessionnels. Si les saints ont changé d’allure et d’aura, leur culte, lui, n’a pas faibli ; il s’est déployé à hauteur des principes médiatiques qui guident la vie publique. Nathalie Heinich identifie les critères qui définissent cette nouvelle visibilité: la reproductibilité technique à grande échelle des images ; la dissymétrie entre objets et sujets du regard, “creusant d’énormes différences dans le capital de visibilité, et instaurant parmi ses détenteurs une catégorie sociale spécifique, située au sommet d’une hiérarchie à la structure profondément renouvelée par l’irruption de cette nouvelle élite”. Si les paparazzi exploitent ce capital de visibilité pour leur compte, ils répondent aussi à l’ethos

d’une société où il suffit d’être reconnu pour être triplement reconnu, l’identification devenant “confirmation, déférence et gratitude”. La position centrale des paparazzi dans le système marchand de la production des images populaires n’est, au fond, que le reflet de l’extension du domaine de la célébrité. Que l’on s’en désole ou non, ces “agents du capital de visibilité” enregistrent l’air du temps, voyeuriste, inquisiteur, vaniteux. Contre lequel il est encore possible de se révolter, à l’image du Comité Invisible, écrivant dans L’insurrection qui vient (La Fabrique éditions): “Voir la gueule de ceux qui sont quelqu’un dans cette société peut aider à comprendre la joie de n’y être personne.” Jean-Marie Durand De la visibilité –Excellence et singularité en régime médiatique de Nathalie Heinich (Gallimard) 5.02.2014 les inrockuptibles 43

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deux générations, Francis Apesteguy, qui officiait dans les années70 à 90, cherchait le contact et l’affrontement. Sébastien Valiela, auteur du “scoop Hollande-Gayet”, se partage plutôt entre connivence et planque. Le flash contre le téléobjectif. Francis Apesteguy, le repenti

torero “La photographie de paparazzi est une très bonne école, commente Apesteguy. Lors d’un reportage sur l’exil tibétain, par exemple, je devais shooter le dalaï-lama. Derrière lui, des gardes prêts à bondir. Heureusem*nt, j’avais les codes, je tire vite et bien. J’ai arraché les images.” “La photographie de paparazzi, c’est une photo coup de pied au cul, analyse encore ce photographe aux formules aiguisées. On est obligé d’anticiper, de projeter ce qui va se passer. On développe un sixième sens en quelque sorte.” Au Centre Pompidou-Metz seront exposées sept de ses photographies, parmi lesquelles une de Romy Schneider surprise non loin de chez elle, avenue Foch, avec son chien dans les bras. “On voit qu’elle joue, ses yeux rient.” Une de Sophia Loren, “royale” à Megève. “C’est une image très crue, le flash, comme des coups de couteaux.” “Al’époque, j’étais comme un torero avec ses banderilles, résume Apesteguy. Moi, j’étais un provocateur, un incisif. J’aimais bien mettre les célébrités en colère, voir leurs gesticulations. Je me souviens d’Onassis me jetant un bouquin, ou de Brel vert de rage, l’un de mes plus beaux souvenirs. On est en75 ou76, je lis dans France Soir que Brel serait à Paris le lendemain. Je n’avais aucune idée d’où il était, mais je me suis dit, si tu ne le cherches pas, tu ne vas pas le trouver. Dans le troisième restaurant, j’ai eu une vision: il était en train de sortir par la porte de derrière et je l’ai eu. J’avais

Collection Michel Giniès

Francis Apesteguy, c’est ce fringant jeune homme que vous avez peut-être vu dans Reporters, le documentaire que Raymond Depardon –lui aussi un temps paparazzi– réalisa sur l’agence Gamma. C’était en1981. Depuis, il a “grandi”, comme il dit, et quitté le monde des paparazzi pour celui du reportage, du portrait et de la photographie artistique.

A l’arrière de la DS, Robert Redford (caché) et Costa-Gavras. Paris, septembre 1976

un Leica, j’ai fait deux, troisphotos. C’était un western, ils ont essayé de m’attraper, je me suis enfui en courant sur des voitures.” flash Conseiller spécial auprès de Vincent Lindon (qu’il traqua lors de sa liaison avec Caroline de Monaco !) pour le film Paparazzi d’Alain Berbérian, Apesteguy a vu le métier changer: “Avant, on était bloqué avec 400ASA, on avait beau avoir des appareils performants, la nuit, on devait s’approcher, actionner les flashs. Aujourd’hui, on peut rester caché.” “Une image, c’est toujours en trois temps: la projection, donc la construction de l’image ; la technique, qui permet de produire l’image qu’on a en tête ; et le travail de postproduction pour coller au plus près de l’image que le cerveau a vue, résume le photographe. Le digital tue la première étape qui consiste à projeter mentalement l’image.” L’autre coup de gueule de ce paparazzi repenti ? “Je déteste le racisme

intellectuel de certains bien-pensants qui crachent sur la profession. Le paparazzi, c’est Frank Nitti, la main armée d’Al Capone, le commanditaire. Durant l’affaire Diana, les projecteurs étaient braqués sur les paparazzi pour qu’on ne s’interroge pas sur la responsabilité des commanditaires. Sans dealer, il n’y a pas de drogué.” Hollande Repenti donc, mais pas vraiment guéri. “Les images dans Closer ? Oui, j’aurais aimé les faire”, avoue le photographe. Avant d’ajouter avec malice: “Apparemment, ça n’était pas très difficile d’attraper la pantalonnade de Hollande dont les oreilles de lapin sortent même du casque ! Mais ce n’est pas grâce au photographe –il a simplement attendu le temps qu’il fallait–, c’est surtout que de l’autre côté c’était n’importe quoi, un manque de surveillance et de protection évident. C’était facile non pas grâce au photographe, mais grâce à Hollande.”

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Sébastien Valiela et Pierre Suu/Eyewitness

, deux styles

Mazarine Pingeot et François Mitterrand, à la sortie du restaurant Le Divellec. Paris, 21 septembre 1994

Sébastien Valiela, le franc-tireur Faire vaciller deux présidents de la République à vingt ans d’intervalle n’est pas donné à tout le monde. C’est pourtant ce qu’a fait Sébastien Valiela, fer de lance d’une nouvelle génération de paparazzi, à la tête depuis 2008 de sa propre agence, Eyewitness (“témoin oculaire”, en français). Mazarine La première fois, c’était en 1994, sur l’esplanade des Invalides: soi-disant touriste assoupi, l’appareil photo dissimulé, il attend, avec son camarade Pierre Suu, la sortie du président Mitterrand. Une heure et demie plus tard, il tient son scoop qui fera vendre 1,4milliond’exemplaires à Paris Match: le Président posant une main tendre sur l’épaule de sa fille avec qui il vient de déjeuner au restaurant LeDivellec.

C’est le Mazarinegate, tacitement autorisé par Mitterrand consulté avant publication et qui n’aura que ce commentaire: “Elle est belle, n’est-ce pas ?” Hollande Vingt ans plus tard, c’est une autre histoire. Une couve et une dizaine de clichés présentée sous la forme d’un roman-photo avec force détails (gros plans du casque ou des chaussures) font valser la romance d’un François Hollande. “Le déclencheur, ça a été la sortie de Stéphane Guillon le 16 décembre au Grand Journal”, confirme Sébastien Valiela, joint par mail alors qu’il s’est envolé pour LosAngeles. “Il y a être au courant et être en mesure de faire les images”, précise encore celui qui, comme beaucoup de ses confrères, savait depuis des mois, mais ne s’est mis en planque qu’à partir du 26décembre après avoir reçu le feu vert de Laurence Pieau, directrice de Closer. Rue du Cirque, avec

son complice Lorenzo Viers, ils prennent leurs marques, l’un dans la rue, l’autre dans la cage d’escalier qui donne sur la garçonnière aux volets clos. En quelques heures, l’affaire est bouclée, semant le doute sur la garde pas si rapprochée du Président. Mais la mise en scène des images, ce n’est pas lui, affirme Valiela. “C’est du journalisme, pas du constat d’adultère ou une enquête policière. En tant que photographe, je ne me mêle pas de la maquette du journal, ni de sa ligne éditoriale. C’est le journal qui met en scène les images et je dois dire que, concernant cette affaire, cela a été remarquablement fait grâce au talent de Laurence Pieau.” connivence Sébastien Valiela, 42ans, possède un appareil “depuis (s)es 8ans”. Après un passage par une école de photo, il fait ses armes dans la rue au service de deux mastodontes de la photo paparazzi, Pascal Rostain et Bruno Mouron, cofondateurs de l’agence Sphinx qui s’attribuera longtemps le scoop de l’affaire Mazarine. “Sans doute une blessure narcissique pour Valiela, commente le commissaire de l’expo Paparazzi ! Clément Chéroux, ce qui explique en partie pourquoi il a tenu à se faire immédiatement connaître sur le dossier Closer.” Passé par Los Angeles entre 2004 et 2008, Sébastien Valiela a privilégié la photographie de contact. Une pratique facilitée outre-Atlantique par des stars qui acceptent d’être suivies en permanence, même si elles font mine de s’en défendre (Lindsay Lohan, Paris Hilton, Kim Kardashian et surtout Britney Spears, l’une des icônes de l’expo de Metz). “Il y a un avant et un après Britney Spears”, note l’historien d’art Michel Guerrin dans le catalogue. Depuis 2008, Valiela est rentré à Paris et retourné à la photographie de planque. Le numérique a-t-il changé quelque chose ? “Ça ne modifie pas la démarche, c’est juste une simplification technique et ça permet de voir si les photos sont bonnes sans attendre.” Claire Moulène 5.02.2014 les inrockuptibles 45

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Temples du soleil Venus de Kettering, bled des Midlands, ces quatre Anglais chevelus ressuscitent le psychédélisme avec brio. par Ondine Bisoubenetier

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l règne un froid polaire sur Brixton, quartier du sud-est de Londres où l’on trouve autant de bobos à vélo que de crackheads en chasse. La mythique salle de concerts Brixton Academy affiche le nom de Primal Scream en grosses lettres sous lesquelles quatre frêles garçons aux tignasses fournies enchaînent les cigarettes. L’un d’eux, sosie de Marc Bolan, porte un manteau de fourrure, un T-shirt à paillettes et un slim qui laisse apparaître ses jambes d’une maigreur inquiétante. Un autre ressemble à un cousin de Bobby Gillespie –même pantalon, même coupe de cheveux–, tandis qu’un troisième pourrait être tout droit sorti de The Byrds. Nous ne sommes pas en 1973 pourtant, mais bien fin2013, et ces quatre jeunes hommes, la vingtaine à peine, ne sont autres que Temples, le groupe qui assurera ce soir la première partie de Primal Scream devant un parterre de fans transis et de pontes de l’industrie musicale britannique. “On est évidemment très fans de Primal Scream. C’est un groupe qui a touché tellement de gens. La musique qu’ils font aujourd’hui est restée fidèle à celle qu’ils faisaient dans les années90. C’est vraiment un honneur de jouer avec eux ce soir: faire la Brixton Academy avec ce groupe, c’est tout un symbole”, confie d’une voix à peine audible le discret guitariste Thomas Warmsley. La fidélité, c’est justement le sentiment au cœur de Sun Structures, premier album de Temples qui sait,

on ne donne pas naissance à un album aux riffs aussi illuminés avec de simples cachets de vitamine C

comme Tame Impala en 2012, célébrer le passé sans nostalgie, respecter leurs influences sixties et seventies avec une intégrité admirable. Le point de départ du quatuor né à Kettering, petite ville des Midlands aussi über-urbaine et ghettoïsée qu’un village du Cantal. Shelter Song est le tout premier titre, étourdissant de psychédélisme, enregistré par les garçons chez leur chevelu leader –une chambre transformée en studio de fortune. “Cette chanson a été une affirmation de la direction que l’on voulait prendre pour le reste de l’album, d’un point de vue mélodique comme d’un point de vue production. Tout ce qu’on a fait ensuite a été guidé par ce titre en termes d’atmosphère”, explique Thomas. “Je vois Shelter Song comme l’empreinte digitale de Sun Structures parce qu’elle ainspiré tout notre son”, ajoute le chanteur James Bagshaw, qui a produit le disque lui-même. Ce son trouve ses racines plusieurs décennies avant la naissance de ses vaillants (ré)initiateurs qui situent leurs premiers souvenirs musicaux chez la Motown, Green Onions de BookerT. & The M.G.’s ou We All Stand Together de Paul McCartney, et comptent parmi leurs fans Noel Gallagher et Johnny Marr. On y retrouve le chant évanescent de Bagshaw, des chœurs en cascade que n’auraient pas renié les Beatles période Strawberry Fields Forever, des boucles de guitares et de synthés au psychédélisme grisant et certainement un bon paquet de substances illicites – on ne donne pas naissance à un album aux riffs aussi illuminés avec de simples cachets de vitamineC. On y découvre surtout des morceaux scrupuleusem*nt vintage à la production fine et léchée, des titres créés dans l’exaltation lors de sessions sans fin où le mot “maquette” n’avait pas sa place. “Nous ne sommes pas perfectionnistes d’un point de vue technique, mais on continue d’enregistrer nos

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Temples, Londres, 2014

morceaux jusqu’à ce qu’on sente qu’ils sont arrivés à destination, raconte Warmsley. On fonctionne beaucoup de façon impulsive en studio. Rien n’est jamais vraiment planifié. Enregistrer l’album dans le studio de James était un luxe pour nous parce qu’on pouvait prendre le temps d’expérimenter. On n’a jamais vraiment eu de demo, mais plutôt des idées en cours qu’on enregistrait en permanence jusqu’à en être satisfaits. C’est comme ça qu’on a fini toutes nos chansons.” “On a gardé beaucoup de premiers sons, de premières prises de guitare par exemple, tout en continuant à construire le morceau par-dessus, confirme Bagshaw en lustrant ses boots à boucles argentées. Ça nous a permis de maintenir une certaine pureté dans la vision qu’on avait de notre musique.”

Des irrésistibles Shelter Song, Colours to Life et Keep in the Dark, aux trips hallucinés Mesmerise, Sand Dance et Fragment’s Light, sublime titre de clôture de l’album, Sun Structures affiche une cohérence qui pousse à la transe. “On n’a aucune chanson en plus ou en trop qu’on pourrait utiliser en b-sides ou en bonus, lâche James. Je trouve ça assez beau, parce que ça confirme l’idée que ce disque a été pensé comme un véritable album.” Douzemorceaux comme douzepilules de LSD: Temples sera la meilleure drogue légale de l’année. album Sun Structures (Heavenly/Pias Coop) concerts le 28mars à Tourcoing, le 29 à Paris (Flèche d’Or) templestheband.com 5.02.2014 les inrockuptibles 47

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lâchez les Chiens ! Pour l’anniversaire des dix ans de leur compagnie, Les Chiens de Navarre se paient le luxe d’un minifestival au Théâtre du RondPoint avec trois pièces jubilatoires. par Fabienne Arvers et Patrick Sourd photo Audoin Desforges pour Les Inrockuptibles

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appel des faits. Au théâtre, avant de se lancer sur le plateau, les comédiens ont l’habitude de décrypter le texte lors de ce qu’ils nomment le travail à la table. En s’emparant de cette pratique austère donnant aux répétitions les allures d’une réunion de moines se livrant à l’exégèse, Les Chiens de Navarre la transforment en une série de happenings tous plus dévastateurs les uns que les autres. Ainsi, comme une piqûre de rappel à l’intention d’un public qui aurait raté quelques-uns des épisodes précédents, ils remettent sur le métier un triptyque avec Une raclette (2009), une fête des voisins qui part en vrille et se conclut en orgie dans un chaos p*rnographique ; Nous avons les machines (2012), où ils épinglent l’action humanitaire via les représentants d’associations caritatives réunis dans un comité des fêtes se téléportant chez les Martiens avant de sombrer dans un rituel cannibale.

Et pour finir, avec Regarde le lustre et articule, en mémoire de la fameuse adresse de Louis Jouvet aux acteurs dans Le Comédien désincarné, les voici renouant avec une proposition restée confidentielle: “C’est une performance qui sera donnée sept fois, précise le metteur en scène Jean-Christophe Meurisse. La lecture d’un texte assis à une table, une mise en place minimale qui s’annonce de prime abord très chiante, sauf que le public se rend très vite compte qu’on ne lit que des pages blanches. Là, c’est sans filet, sans canevas, les comédiens improvisent, jouent en direct une pièce qui n’existe pas. Et pour corser la chose, on pousse le vertige encore plus loin, en invitant chaque soir quelqu’un qui ne fait pas partie de la bande à se joindre à nous.” Uncondensé de leur théâtre dont Jean-Christophe Meurisse nous livre une définition quasi analytique: “Les Chiens de Navarre, c’est le théâtre du ça, l’expression même du plaisir immédiat, de la mise à jour du refoulé, de la libération des pulsions. C’est vrai, dans la compagnie, on emmerde le sur-moi !”

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Jean-Christophe Meurisse, au centre, entouré de sa meute. Paris, janvier 2014

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Ces deux dernières années, ils ont multiplié les créations: deux en 2012, une en 2013, plus la sortie d’un moyen métrage, Il est des nôtres. Aussi, lors de cette rencontre avec une délégation de la meute composée du metteur en scène flanqué de deux comédiens, Anne-Elodie Sorlin et Jean-Luc Vincent, notre première remarque fut: “N’êtesvous pas au bord de la surchauffe ?”, traduite dans la foulée par Anne-Elodie Sorlin –“Un truc du genre, avoir le cerveau qui explose ?”– et commentée par Jean-Christophe Meurisse: “La montée en fréquentation du public nous a fait passer effectivement à la vitesse supérieure avec le risque réel de la surchauffe. J’ai cru qu’on allait exploser en vol, c’est pour cela qu’on a un peu calmé le jeu et, cette année, on se consacre d’abord à la reprise des spectacles et à leur diffusion, plutôt qu’à la création d’une nouvelle pièce.” Ce repli stratégique sur la diffusion témoigne peut-être aussi d’une usure de la mécanique créatrice: à force d’enchaîner les nouveaux spectacles à un rythme aussi soutenu, Les Chiens ne courent-ils pas le risque de tarir la source de leur inspiration ? “Ça dépend de quel pied je me lève, relativise Jean-Christophe Meurisse. Il y a des matins où je pense effectivement que c’est en forgeant qu’on devient forgeron, mais d’un autre côté, notre travail est basé sur la nécessité de ce que l’on veut raconter sur le plateau. Etla nécessité, c’est quelque chose qui ne s’interpelle pas comme ça. Il faut faire très attention à nos colères et à tout ce qui en découle, car ce que l’on craint par-dessus tout, c’est de se répéter. On veut garder la liberté d’inventer

et ça passe obligatoirement par une interrogation perpétuelle de nos désirs.” Un constat partagé par Anne-Elodie Sorlin: “C’est presque un autre métier que de tourner un spectacle, mais comme on les improvise toujours sur le plateau, ils mutent naturellement d’une représentation à l’autre. Aforce d’être hyperactifs, il y a le risque de se retrouver chaque soir en création et de se comporter comme des dévoreurs d’idées neuves qui pourraient trouver leur place dans un prochain spectacle.”

Loin d’être coulées dans le marbre, leurs pièces sont donc avant tout des works in progress dont la géométrie varie en fonction des spectateurs, comme le rappelle la comédienne: “Au Rond-Point, on va décaler le propos pour se rapprocher d’un public plus installé, plus bourgeois. L’idée étant de ne pas donner prise à l’image réductrice et rassurante d’un travail se résumant au grotesque d’une caricature sociale qui leur serait étrangère, afin que le miroir tendu ne cesse jamais de fonctionner.”

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“Les Chiens de Navarre, c’est l’expression même du plaisir immédiat, de la mise à jour du refoulé, de la libération des pulsions” Jean-Christophe Meurisse, metteur en scène

Là est peut-être la raison du plébiscite que leur réserve le grand public. Un succès incontestable faisant mentir ceux qui auraient aimé les cantonner à une audience d’happy few. “C’est une jolie revanche, savoure l’acteur Jean-Luc Vincent. On nous a tellement répété: ‘Vous jouez pour vos amis, le petit milieu des branchés.’ Nous, on a toujours dit que ce n’était pas vrai. Du coup, c’est très beau de voir que nos spectacles peuvent être appréciés par le plus grand nombre. Notre volonté a toujours été de faire un théâtre populaire. Le fait qu’on soit nous-mêmes dépassés par les événements, qu’il se passe des choses qu’on ne maîtrise pas à travers ce succès public est particulièrement réjouissant.” Malgré l’engouement des spectateurs, tout n’est pas rose dans la vie de la compagnie. Bien qu’abonnés aux salles du théâtre public, LesChiens de Navarre ne sont toujours pas reconnus et encore moins soutenus par l’institution à hauteur de leur mérite. Loin s’en faut. “Qui se rend compte du décalage entre notre popularité et notre réalité financière ? Le fossé est énorme. J’ai des convictions politiques, nous dit Jean-Christophe Meurisse, qui revendique aussi une forme d’utopie sociale. Tout le monde est payé au même cachet et touche le même forfait répétitions, que ce soit le régisseur, les comédiens, l’administrateur. Les droits SACD sont divisés à parts égales entre nous. Tout le monde est à la même enseigne. Les budgets de production sont basés à 80 % sur les salaires, ce n’est que de l’emploi, que de l’humain. Concrètement, quand je parle de la viabilité de la compagnie, elle est aujourd’hui sérieusem*nt menacée

et on est en mode survie. Comment peut-on vivre avec 700euros par mois pour créer un spectacle ?” Y aurait-il quelque chose de pourri au royaume du Danemark ? “Ça fait cinqans qu’on demande à la Drac (direction régionale de l’action culturelle –ndlr) une aide à la production et le conventionnement, poursuit Jean-Christophe Meurisse. Mais, comme pour demander le conventionnement, il faut d’abord obtenir une aide à la production et qu’on ne l’a jamais obtenue, le serpent se mord la queue… Ce n’est que depuis décembre qu’un avis enfin favorable nous permet d’espérer une aide à la création pour 2014. Etrangement, même si le ministère nous considère avec bienveillance, il y a toujours dans les commissions d’attribution des Drac des gens qui nous haïssent et disent que ce qu’on fait ne remplit pas la mission du théâtre public. En tant que chef de troupe, je suis profondément blessé et meurtri par cette situation. Le fait de dire que ce n’est pas du théâtre, que ce théâtre-là ne concerne pas la mission du théâtre public nous est insupportable… Donc, nous, on est au bord de dire: on arrête.” Il y a donc péril en la demeure, un comble s’agissant d’un théâtre qui nous fait mourir de rire, pleurer de joie et devrait, au minimum, être remboursé par la sécurité sociale. Festival Les Chiens de NavarreUne raclette, du 5 au 16 février ; Nous avons les machines, du 19 février au 2 mars ; Regarde le lustre et articule, les 8, 15, 16, 22, 23février, 1er et 2mars. Au Théâtre du Rond-Point, ParisVIIIe, 0144959821, theatredurondpoint.fr Il est des nôtres moyen métrage de Jean-Christophe Meurisse, du 8 février au 2 mars à 12 h, les samedis et dimanches au cinéma LeBalzac, ParisVIIIe 5.02.2014 les inrockuptibles 51

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“méditer, c’est regagner une liberté menacée” La méditation aide, selon le philosophe Fabrice Midal, à être plus clairvoyant, attentif à soi et aux autres. Une pratique politique intime en somme. propos recueillis par Jean-Marie Durand illustration Emmanuel Polanco/colagene.com

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a méditation, aussi répandue soit-elle, suscite chez beaucoup méfiance et moquerie. Or, vous vous élevez contre une vision spiritualiste et zen de la méditation. Pourquoi ? Fabrice Midal –Tout mon engagement consiste justement à dénoncer ces stéréotypes, cette méditation bête et lyophilisée qui effacerait notre stress en un coup debaguette magique. En réalité, la méditation consiste à faire attention de manière délibérée dans le moment présent, à s’ouvrir à ce qui est, tel que c’est, sans chercher à le transformer, à l’analyser, mais en essayant d’en faire l’expérience la plus directe et la plus entière, pour agir de façon plus juste dans chaque situation. Cela n’a rien à voir avec une forme de relaxation, puisqu’il ne s’agit pas de se détendre mais de développer une forme de clarté et d’intelligence de la situation. D’où vient la méditation ? Même si elle est aujourd’hui laïcisée, sous les noms de “pleine présence” ou “pleine conscience”, elle vient de la tradition bouddhique. Or dans cette tradition, la méditation est toujours comprise comme l’union de deux choses: le fait de se poser, afin d’apprendre à être plus disponible au monde, et la vue claire, le discernement. Méditer, c’est se poser pour voir clairement. Le problème qu’il y a à présenter la méditation comme un outil de gestion du stress est qu’elle participe de la barbarie de notre temps. En effet, vouloir être toujours plus efficace, plus performant, nous conduit à tout instrumentaliser. Et cela devient monstrueux : on réduit l’être humain à une ressource. Ilme semble que si la méditation doit jouer un rôle majeur aujourd’hui, c’est parce qu’elle nous invite à une révolution, à faire confiance à l’expérience que nous avons des choses. Faire de la méditation unoutil de contrôle encore plus efficace de tout ce quiest, c’est un produit du nihilisme. La méditation dont je parle, à l’inverse, vise à nous délivrer du nihilisme. Comment expliquer son succès croissant ? Le succès de la méditation vient d’abord de la manière dont la science a mesuré concrètement son impact. Les Occidentaux assez rétifs à toutes ces questions, inquiets de son côté un peu brumeux, exotique,

ont été surpris par ses effets réels sur l’esprit humain. Laméditation aide les gens en grande douleur, a un effet sur la rechute de dépression. Plus fondamentalement, la méditation répond à un désir profond de l’Occident. Les grands penseurs depuis la fin du XIXesiècle se sont rendu compte que l’un des problèmes majeurs de l’homme occidental, c’était le fait d’être coupé de son corps et de son expérience, que tout soit médiatisé etrendu abstrait, mécanique. C’est ce que disent chacun à leur manière Bergson, Husserl ou encore Walter Benjamin dans son très beau texte Expérience etpauvreté. Je crois que la méditation nous aide àinterroger l’expérience telle qu’elle est, avant de la figer dans des catégories. Méditer, c’est habiter lapossibilité d’un questionnement infini sur l’énigme qu’est pour tout être humain le fait de vivre. En quoi la méditation peut-elle former une réponse à la crise de notre époque ? Si l’on prend le nihilisme au sens de Nietzsche, dumanque de dignité que les Occidentaux ont pour eux-mêmes, on a besoin de quelque chose qui redonne confiance dans l’ampleur de la vie et dans un dessein collectif. La méditation peut redonner cela parce qu’elle nous renvoie à ce qui, en nous, est vivant. Elle est ainsi profondément démocratique en aidant chacun à revenir au cœur de sa propre existence, en n’étant pas seulement un consommateur-producteur prisonnier des diktats publicitaires et idéologiques. La grande question qu’il faut sans cesse reposer est: quelle est l’idéologie qui, en moi, pense à ma place ? Méditer, en ce sens, c’est regagner une liberté aujourd’hui menacée. Pourquoi, dans vos deux livres, insistez-vous sur la manière dont la méditation vous semble éclairante pour apprécier une œuvre d’art ? Ecouter un morceau de musique, voir un tableau nous plonge dans un état de présence qu’on ne pourra jamais comprendre comme un problème technique mais qui a pourtant un sens très profond. Comment apprendre à s’accorder à ce que nous montre l’œuvre d’art ? Le piège est de croire qu’il faut en passer par l’explication –et au lieu de regarder une exposition, on écoute des commentaires sur les œuvres. C’est en raison de cette cécité que l’on fait de l’art une sorte de produit culturel accessoire. Or l’art nous parle du plus essentiel: comment vivre ici et maintenant ?

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Votre enseignement ne produit-il pas un effet déceptif chez ceux qui viennent en pensant que la méditation apprend à être zen ? Au contraire. Si je suis devenu l’un des plus importants enseignants de la méditation en France, c’est que les gens sont contents qu’on leur dise la vérité. Il n’y a pas de potion magique qui guérisse de la souffrance d’être humain. Je ne suis pas un gourou qui promet le contraire. Je suis un être comme tout le monde, qui a ses difficultés et qui parle simplement de ce que vingt-cinqans de méditation lui ont appris. C’est cet ancrage dans la réalité, la manière dont elle nous aide à revenir à soi, être plus ouvert, et aussi à développer plus de bienveillance envers soi et le monde, être davantage en rapport avec son désir le plus profond, avoir plus de courage, qui explique son impact. Je ne promets pas que vous allez devenir un autre, parfait, souriant, calme, mais que vous apprendrez à être plus pleinement qui vous êtes. La plus belle phrase sur la méditation est de Rilke: “Tous les dragons de notre vie sont peut-être des princesses qui attendent de nous voir beaux et courageux.” Voilà ce que j’apprends. Non pas à détruire les dragons grâce à des techniques mais à approcher avec une attention bienveillante ce qui fait peur. Au lieu de vouloir tout contrôler, si nous apprenions à être attentifs ?

“il n’y a pas de potion magique qui guérisse de la souffrance d’être humain” Comment articuler la méditation à l’horizon politique ? Prendre le monde tel qu’il est, n’est-ce pas une forme de dépolitisation absolue du réel ? Dans la méditation, on voit les choses telles qu’elles sont, pas pour les accepter mais pour savoir ce qu’il y a à faire –en étant plus libre de l’idéologie ambiante. Je ne suis pas stoïcien ; pour moi, la méditation doit questionner les mécanismes d’aliénation. Je suis très sensible aux derniers textes de Michel Foucault sur le souci de soi qui, explique-t-il, loin d’être un repli sur soi, un égoïsme, nous permet de découvrir que nous sommes plus libres que nous ne le pensons. Mais nous sommes arrivés à une impasse: la volonté de toutepuissance et le contrôle de tout détruit tout: la Terre, les animaux, les hommes. Or nous sommes prisonniers d’une pensée politique très XIXe ; les outils de pensée politique sont très datés. Il faut les renouveler. Fabrice Midal Frappe le ciel, écoute le bruit –Ce que vingt-cinqans de méditation m’ont appris (Les Arènes), 244pages, 17€ ; LaMéditation (Que sais-je, Puf), 128pages, 9€ 5.02.2014 les inrockuptibles 53

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happy Amy Sa prestation dans le film de casse sexy American Bluff lui a valu une récompense aux Golden Globes et une nomination aux oscars. A l’approche de la quarantaine, Amy Adams est la grande sensation d’Hollywood. par Romain Blondeau

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l y a un an presque jour pour jour, le célèbre présentateur Jimmy Kimmel préparait un des coups les plus vicieux de sa carrière. Ce soir du 24janvier 2013, sur l’antenne d’ABC, il laissait les clés de son talk-show à Matt Damon, qui avait pour mission de mener les interviews. Entre quelques vannes, l’émission allait devenir le théâtre d’un duel secret entre deux actrices: Nicole Kidman et Amy Adams, soit la plus grande star féminine des années2000, désormais en perte de vitesse, et celle que tout le monde présentait comme sa probable héritière. Les deux femmes, aux ressemblances physiques étonnantes (même chevelure rousse, même nez retroussé, même peau opaline), se rencontrent ici pour la première fois sous l’œil d’une caméra. Sur le plateau, la tension est palpable: les invitées se sont affrontées dix jours avant à la cérémonie des Golden Globes, où elles concouraient dans la catégorie meilleure actrice dans un second rôle, Nicole Kidman pour Paperboy et Amy Adams pour The Master. Toutes deux ont certes manqué leur chance (en 2013, c’était Anne Hathaway la sensation des Golden Globes), mais Jimmy Kimmel aura enregistré, en quelques minutes, un basculement symbolique dans les affaires hollywoodiennes: la fin définitive d’une icône, et la naissance d’une autre. Un an plus tard, l’écart s’est creusé: alors que Nicole Kidman semble jouer sadernière chance avec Grace de Monaco chez Olivier Dahan (pour un film qui, aux dernières nouvelles, nedevrait pas sortir en salle aux Etats-Unis, mais a tout de même décroché l’ouverture du prochain Festival de Cannes), Amy Adams est, elle, l’événement de la saison. Récompensée du Golden Globe de la meilleure actrice dans la catégorie “film musical ou comique” pour son rôle dans American Bluff de David O.Russell

le mois dernier, qui lui vaut aussi une nomination aux oscars, applaudie pour sa performance dans Her de Spike Jonze, l’actrice, bientôt quadragénaire, s’est définitivement installée dans la A-list des studios. Une reconnaissance tardive qui vient consacrer près de quinze ans de carrière passés à écumer les seconds rôles, sans vrai souci de cohérence. Amy Adams, depuis ses débuts au cinéma, a incarné à peu près toute la gamme possible des rôles hollywoodiens: elle fut pom-pom girl sexy, lycéenne manipulatrice, princesse de conte de fées, femme au foyer white trash, chanteuse de music-hall, nonne au couvent et même Lois Lane. Elle tourna parfois jusqu’à cinq films la même année (2006), passant d’un rôle à l’autre avec la même conviction, le même désir, comme détachée des impératifs de mode et de sa propre image –ce qui la distingue, en un sens, du tempérament d’auteur que revendiqua Nicole Kidman dans toute sa carrière. AmyAdams, c’est Hollywood à l’ancienne: une actricetransformiste qui a gravi un à un les échelons de la gloire, qui a cumulé les performances et les identités pour se faire un nom. C’est l’histoire d’une success-story classique –banale, diront certains. Même en coulisse, l’actrice a pris l’habitude de ne surtout pas faire de vagues: on parle d’elle comme de la personnalité la plus straight du cinéma américain –au point qu’un journaliste s’étonna un jour qu’elle puisse avoir une sexualité, confia-t-elle au magazine Interview. Issue d’une grande famille mormone, AmyAdams a vécu une enfance à la dure, trimballée d’Italie, où elle est née, à plusieurs villes américaines au rythme des affectations de son père militaire. Dansle portrait que lui a consacré l’édition US de Vanity Fair, l’actrice confiait avoir trouvé dans la danse et le théâtre les exutoires de son enfance sans passion :

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sa vraie nature: une fille de scène et de spectacle, une héritière de Broadway qui n’aime rien tant que la comédie musicale et les artifices

American Bluff de David O. Russell

elle s’imagina ballerine, puis chanteuse, avant de gagner ses premiers cachets de danseuse en cabaret. C’est d’ailleurs lors d’un spectacle, donné dans le Minnesota, qu’elle fut repérée, à 24ans, par un producteur qui lui offrit son premier rôle dans la comédie Belles à mourir, où elle partage l’affiche avec Kirsten Dunst. En quelques brèves apparitions, l’actrice détonne dans cet instantané kitsch des années90 et impose ce qui sera sa première signature: le personnage de jeune fille ingénue. Les seconds rôles suivront rapidement, au cinéma (Sexe Intentions2, suite d’un hit adolescent) ou à la télévision (That ’70s Show, Charmed), avant qu’elle ne décroche une participation plus prestigieuse dans Arrête-moi si tu peux de Spielberg, où elle incarne la fiancée furtive de Leonardo DiCaprio. Mais alors qu’elle tente de se faire une place dans le mainstream hollywoodien, c’est au cinéma indé qu’elle devra sa révélation: en 2005, elle obtient une nomination aux oscars et un prix à Sundance pour son rôle dans le drame Junebug de Phil Morrison (inédit en France). Les traits tirés, les yeux démaquillés et la voix tremblante, l’actrice en fait des tonnes dans ce rôle de fille redneck, mais qu’importe: la presse US tient sa next big thing etdéjà Amy Adams est promise à une brillante carrière. Depuis lors, sa filmographie se décline entre deuxversants contradictoires. D’un côté, il y a l’actrice académique, ascendant Meryl Streep, celle qui vise les prestige movies et fréquente un cinéma d’auteur américain ultraconventionnel. Dans Sunshine Cleaning de Christine Jeffs, dans l’irritant Doute de John Patrick Shanley (précisément aux côtés de Meryl Streep) et même dans des films plus ambitieux comme Fighter (sa première collaboration avec David O.Russell) ouThe Master de Paul Thomas Anderson, Amy Adams affiche une tendance à l’emphase dramatique, à la démonstration de force. De l’autre, il y a une showgirl plus badine et délirante, une actrice restée fidèle à ses racines de music-hall, capable de chanter

etdanser dans ses films avec une grâce égale. Voilà la vraie nature d’Amy Adams: une fille de scène etde spectacle, une héritière de Broadway qui n’aime rien tant que la comédie musicale et les artifices. Dès son second film, Psycho Beach Party, une parodie fun de sérieB sixties tournée en 2000, la jeune actrice révélait ainsi ses talents de danseuse à la faveur d’une scène de twist irrésistible. Et elle ne cessera plus de faire le show: en marge de ses films de prestige, on la verra chanter avec des marionnettes dans Les Muppets, le retour, danser avec Ben Stiller dans La Nuit au musée2 ou même interpréter des comptines Disney en robe deprincesse dans le très perché Ilétait une fois. Son chef-d’œuvre, à ce titre, pourrait être le beau et méconnu Miss Pettigrew de Bharat Nalluri: un hommage à l’âge d’or des comédies sophistiquées hollywoodiennes où, en adorable petite peste inspirée d’Audrey Hepburn, bondissante, elle déploie tous ses charmes canailles et son humour tapageur. “Elle a quelque chose qui me fait penser à Ann-Margret (sex-symbol sixties, petite amie de Nicholson dans Ceplaisir qu’on dit charnel –ndlr)”, dit David O.Russell, qui a enfin écrit àAmy Adams un rôle sur mesure dans son film de casse, American Bluff. Affublée de postiches seventies et d’un décolleté indécent, l’actrice y prend un plaisir manifeste à jouer la fausse vamp, jusqu’à une furieuse scène de club disco scandée par du Donna Summer. Dans l’idéal, AmyAdams ne devrait faire queça: chanter, danser, s’épanouir dans le music-hall, et se tenir aussi loin que possible de ce naturalisme indé qui plaît tant aux échotiers d’Hollywood. Le soir de la cérémonie des Golden Globes, après avoir enfilé son costume de prestige pour recevoir un prix, l’actrice n’a pas su contrôler ses pulsions et a été filmée en train de chanter à tue-tête dans un bar gay deLos Angeles. Elle interprétait Defying Gravity, unextrait de comédie musicale, évidemment… lire critique du film p.66

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tout un trip Avec Tapei, qui décrit une jeunesse accroc aux psychotropes, la coqueluche des lettres US Tao Lin offre un superbe shoot littéraire. par Emily Barnett photo Vincent Ferrané pour Les Inrockuptibles

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éfoncé ou pas défoncé ? D ans Tapei, un jeune écrivain enjoint une journaliste à l’interviewer sous MDMA, aussi tous les doutes sont permis. En venant à la rencontre de Tao Lin, de passage à Paris pour présenter son nouveau roman, notre premier réflexe est d’examiner sa pupille. Rien à déclarer. On décide alors de lui poser la question: “Etes-vous h igh ?” Tao Lin rit en nous rassurant: “Non, je n’ai pris aucune drogue. En revanche, j’ai une excellente marijuana dans ma poche…” Après Richard Yates en 2012, qui l’a révélé en France, l’écrivain new-yorkais âgé de 30ans rapporte dans Tapei les circonstances d’une forte addiction aux drogues et aux psychotropes. Un thème annoncé par son activité parallèle de vidéaste: en 2011, il a fondé avec sa petite amie la société de production MDMAfilms, sous la bannière de laquelle ils ont tourné quatre longs métrages les mettant en scène après avoir ingéré différentes drogues. Tapei constitue en quelque sorte la version littéraire, moins décousue mais tout aussi hallucinée, de ces expériences. “Au départ, les drogues aident mon personnage à se sentir plus à l’aise avec les autres. C’est un genre d’handicapé social. Puis il découvre que ces substances lui apprennent des choses sur lui-même. Elles deviennent un outil de connaissance de soi, moins comme un protocole scientifique qu’une expérience artistique et sensorielle.” Avec une petite bande d’amis, Paul, écrivain de 26ans, et sa girlfriend Erin vont expérimenter toutes sortes de produits (Valium, Klonopin, Seroquel, benzodiazépines…), écumant les lieux de rendez-vous nocturnes new-yorkais (les personnages se réveillant autour de 17h). Suivent le Xanax et la cocaïne, dont le couple restitue la consommation par des vidéos arty postées sur YouTube, puis le MDMA, conduisant à un happening dans un McDo assez spectaculaire. Une pierre dans le jardin de la société de consommation ? “Personne n’a jamais su

m’expliquer le sens du capitalisme ou de la société de consommation. Je suis gêné par la morale qu’on y met. Au fond, je rêve d’une société sans entreprises ni investisseurs, dominée par la pêche, la chasse et l’agriculture. Comme il y a 12 000ans.” Un monde sans MacBook, cela sonne comme un vœu pieux venant de l’auteur qui a le mieux écrit la génération internet et les réseaux sociaux. Richard Yates relatait ainsi la première histoire d’amour 2.0 à travers le flirt virtuel de deux jeunes geeks dépressifs et végétariens. Quant à Vol à l’étalage chez American Apparel, un roman antérieur aujourd’hui publié en France (son tout premier intitulé Eeeee Eee Eeee, “sur un livreur de pizza avec des animaux qui parlent”, reste inédit à ce jour), il reproduit les états d’âme d’un apprenti écrivain kleptomane marié à son ordinateur. Pourtant, Tao Lin se défend d’incarner une génération, même celle de la révolution numérique: “Je suis une bille en ordinateur. J’en casse deux ou trois par an et, à chaque fois, je galère pour installer iTunes.” D’ailleurs, il n’avait pas prévu d’être écrivain. “J’ai été livreur de pizza, employé dans une librairie, serveur dans un restaurant bio. Mais je n’aime rien tant que ne rien avoir à faire.” Son job le plus cool ? “J’ai été l’assistant d’un type qui voulait créer une compagnie de jets low-cost. Mon job consistait à trouver des photos de jets sur le net et à les mettre

un vrai grand roman sur la solitude moderne et l’angoisse sociale

en ligne sur le site. Comme mon boss était aussi acteur, il a réussi à convaincre Clive Owen et Angelina Jolie de rédiger une note publicitaire pour sa compagnie.” Dans Tapei, pas de stars, mais des références à Hunter S. Thompson, Bret Easton Ellis, Tiger Woods, Scorsese... Situé dans un New York cool et arty, comme ses précédents livres, Tapei confirme son statut d’écrivain branché. Ilréanime aussi le spectre d’une cité mythique héritée de Warhol, ultramondaine et soumise aux expérimentations, où Paul, alias Tao Lin (“Tous mes livres sont autobiographiques“), nous embarque dans une odyssée triviale et magique. Prenant la fonction d’arène sociale, de terrain de performances, de labyrinthe qui rend fou, la ville est la toile de fond d’une mélancolie, où se détachent des mots blessants: “sentiment de désolation”, “présence robotique”, “déficience”... “J’aime les gens heureux qui pensent que les gens déprimés sont cool”, ironise l’écrivain quand on le sonde sur la dépression qui semble miner ses personnages. Tapei est un vrai grand roman sur la solitude moderne et l’angoisse sociale, une dérive poignante et triste, dans un monde urbain en partie dématérialisé, tout à ses écrans et à ses vitrines marchandes. Une marche existentielle, aussi, flirtant avec les drogues et l’art, tirant sa force de son minimalisme poétique, de son regard en biais, dénué d’affect, d’une philosophie du quotidien déconcertante. Tao Lin est l’écrivain des surfaces, espaces qui se dérobent pour révéler un vide tout contemporain. Proche d’un Bret Easton Ellis, avec les outils du Nouveau Roman (l’absence de psychologie, de linéarité réelle), il se fait le conteur hypnotique et inquiet d’une époque, défaisant par un gros trip l’ordre mortifère du monde. De là éclot l’équation cachée, invisible, qui affleure parfois à la surface de nos vies. Tapei (Au Diable Vauvert), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Charles Recoursé, 368p., 20€ Vol à l’étalage chez American Apparel (Au Diable Vauvert), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Charles Recoursé, 96p., 5€ 5.02.2014 les inrockuptibles 59

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Photographie attribuée à Raymond Voinquel

Marcel Ophuls et son père Max, avec Martine Carol, à l’époque de Lola Montès (1955)

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“je n’ai pas l’impression d’avoir réussi ma vie” Dans ses Mémoires d’un fils à papa, Marcel Ophuls, l’homme du Chagrin et la Pitié, retrace son destin marqué par le cinéma et l’histoire. Rencontre. par Serge Kaganski

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as d’effort pour me faire valoir, surtout pas de nombrilisme, pas de fausse nostalgie non plus”, dit-il dans l’avantpropos de ses Mémoires d’un fils à papa. Il a tenu parole. Lui, c’est Marcel Ophuls, grand auteur de documentaires. Papa, c’était Max Ophuls, maître du cinéma mondial des années30 aux années50. De Francfort à Paris, de l’Allemagne nazie à Hollywood, de Lola Montès (1955) au Chagrin et la Pitié (1971), de Klaus Barbie à Marlène Dietrich, de Brecht à Truffaut, de son génial géniteur à sa destinée aléatoire de documentariste, le petit Marcel a connu un destin marqué par le cinéma et l’histoire. Dans sa modeste maison béarnaise, aujourd’hui âgé de 86ans, il raconte sa vie d’acteur et de témoin de son siècle d’une voix usée mais limpide, entre trous de mémoire et lucidité

coupante, humour cinglant et humilité confinant àl’autodépréciation. Il boucle son livre par cette phrase: “Le génie est si rare, contentons-nous d’avoir du talent.” A partir de quand regardez-vous les films de votre père et prenez-vous conscience qu’il est un grand cinéaste ? Marcel Ophuls– A la limite, je n’aurais pas eu besoin de voir ses films pour savoir qu’il était un grand cinéaste, parce que c’était un grand monsieur. Il avait l’intelligence, la culture, lesens de l’humour, le sens de la mesure… Il avait toutes les qualités pour être un grand cinéaste. Cela dit, les films d’avantguerre de mon père n’étaient pas encore de grands films, sauf Liebelei. Il faisait ce qu’il pouvait, il faisait bouillir la marmite. Mais chefs-d’œuvre ou pas, nous étions tous les trois, lui, ma mère et moi, convaincus qu’il était un génie. 5.02.2014 les inrockuptibles 61

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“Faites vos jeux, mesdames, mon deuxième film, a sans doute plombé ma carrière de cinéaste de fiction. Le bide était mérité, c’était un très mauvais film”

Marcel Ophuls avec Jeanne Moreau et Jean-Paul Belmondo, les comédiens de son premier film, Peau de banane (1963) Le Chagrin et la Pitié (1969)

Dans Mémoires d’un fils à papa, vous passez assez vite sur les films de Max, comme s’il enchaînait les grands films banalement, sans en avoir conscience. Je ne crois pas que les grands maîtres du cinéma se disent: “Là, je vais faire un chef-d’œuvre !” Entreprendre un film, c’est se lancer dans une aventure avec plus ou moins de confiance. Mais je ne suis pas forcément le mieux placé pour évoquer son travail, parce qu’il en parlait très peu à la maison. Vous racontez plus en détail le tournage de LolaMontès sur lequel vous étiez assistant. Pour me prendre comme assistant sur Lola Montès, Max avait posé comme condition que je tienne le coup en tant qu’assistant sur un film de Duvivier. Grand metteur en scène, Duvivier était odieux à cette époque parce que sa femme était en train de mourir d’un cancer. J’ai tenu lecoup. Lola Montès a été un échec à sa sortie, puis réévalué et considéré comme un chef-d’œuvre avec le temps. La raison principale de son échec, ce n’était pas la folie de Max Ophuls ou les problèmes de production, c’était plutôt que le public n’aime pas être attaqué de front. C’est un film non seulement très pessimiste mais qui met en cause le voyeurisme du public, la publicité, lespréjugés… Un film profondément prophétique. Lesgens ne sont pas cons, ils s’en aperçoivent (rires)…

Quel est votre film préféré de Max ? Pas Lola Montès, ce qui est très subjectif parce que jel’ai vu souffrir sur ce film, devenir cardiaque. Jebalance entre Le Plaisir, ou Madame de… Madame de…, c’est la perfection, rien à ajouter, rien à retirer. Mon père s’identifiait souvent à son personnage féminin, mais dans Madame de… il est tour à tour le général, l’amant et Danielle Darrieux. Et Le Plaisir: c’est unfilm paradoxalement fidèle à Maupassant et totalement ophulsien. Il n’a pas la perfection de Madame de…, mais il est plus personnel stylistiquement. Ensuite, je dirais Liebelei et Lettre d’une inconnue. Votre premier film est Peau de banane, avec JeanneMoreau et Jean-Paul Belmondo. Vouliez-vous transposer une comédie hollywoodienne en France ? On visait une comédie à la Katharine Hepburn, CaryGrant ; on a fait ce qu’on a pu. Il a eu uncertain succès commercial. C’était unfilm d’acteurs, pas un fleuron de la Nouvelle Vague. Parle biais de mon amitié avec Truffaut, j’étais un peu Nouvelle Vague sur les bords (rires)… Mais je n’étais pas totalement convaincu par leurs idées sur lecinéma. Est-ce qu’il faut être visiblement auteur de films ? Pas si sûr… Ensuite, l’échec de Faites vos jeux, mesdames, mon deuxième film, a sans doute plombé ma carrière de cinéaste de fiction. Le bide était mérité, c’était un très mauvais film.

Etes-vous devenu par hasard un grand cinéaste documentaire ? On peut le dire, d’autant que je ne suis pas comblé par le documentaire. J’ai fait de bons films, certains peut-être marquants, mais le documentaire est ungenre étriqué où on n’a pas les coudées franches, où on ne peut pas inventer. La fiction est plus gratifiante. Dans votre livre, vous parlez assez rapidement du Chagrin et la Pitié, comme d’une œuvre de commande banale. Pourquoi minorer ce film très important ? On en a déjà tellement parlé ! Au départ, c’était lasuite d’un documentaire télé, qu’on a tourné en sixsemaines avec des bouts de ficelle. Ce film est arrivé àson heure. En 69-70, le mythe gaullistocommuniste touchait à son terme, il fallait bien que quelque part, quelqu’un crève l’abcès de la collaboration française sous l’occupation nazie. Mais Le Chagrin n’était pas revanchard, du moins je l’espère. Le film a été accusé de mille choses, d’être antifrançais, contre la Résistance… Simone Veil, Germaine Tillion, Lucie Aubrac le détestaient –par la suite, Lucie est devenue mon amie. Claude Lanzmann est plus que fier de Shoah. Vous, au contraire, vous semblez fuir la posture du grand cinéaste qui a signé un film important. Ce n’est pas de la fausse modestie, c’est même pire que ça: au départ, je n’avais pas envie de faire ce film.

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On était encore à l’ORTF, André Harris et Alain Sédouy voulaient simplement faire la suite du docu Munich ou la paix pour centans. LeChagrin est né de façon aussi banale que ça. Je ne vais pas minimiser mon apport: quand Harris et Sédouy ont découvert le film, ils étaient scandalisés, prêts à censurer certaines parties. Et ce sont les Allemands (la télé allemande coproduisait –ndlr) qui ont dit “Comment ? Vous, la grande nation, vous voulez censurer Ophuls ?! Nous ne le permettrons pas” (rires)… Il faut bien admettre que les Allemands avaient de bonnes raisons de diffuser un film qui remettait en question le rôle de la France et relativisait un tout petit peu les crimes de l’Allemagne. Au final, je ne pense pas que Le Chagrin soit un film dur, non, c’est un film humaniste. The Memory of Justice, le film de vous que vous préférez, parle du procès de Nuremberg, mais aussi de l’Algérie et du Viêtnam. Là encore, les Allemands pouvaient y voir leurs crimes relativisés ? Pour trouver les financements nécessaires à ce genre de film, il faut parfois laisser les malentendus

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s’installer. Ce film, c’est toute la question de Nuremberg. Fallait-il faire ce procès ? Comment les Allemands l’ont-ils vécu ? Très mal. Nuremberg créait un précédent juridique et géopolitique: l’idée du film était de vérifier si ce précédent avait été suivi d’effets, ou pas. C’est une question qui méritait d’être posée, me semble-t-il. Au début, peu d’effets, puis, petit à petit… on a fini par créer le TPI. Mais Goering n’avait pas complètement tort quand il disait que ce sont lesvainqueurs qui font la justice et que les vaincus la subissent. Quand Nuremberg s’est tenu, la priorité n’était pas le crime contre l’humanité. Les vainqueurs qui ont fait Nuremberg pensaient en premier lieu à juger la guerre agressive, la dictature… L’extermination des Juifs est venue tard dans la conscience mondiale. Pensez-vous que c’est le film Shoah qui a fait advenir cette conscience ? Shoah est un chef-d’œuvre, mais paradoxalement, pas de cinéma. On ne met pas un type sur une locomotive, ou dans une barque, ou dans un salon de coiffure, si on s’attend à une parole spontanée. Le côté purement cinéaste de Claude, je n’y crois donc pas beaucoup.

Par contre, je crois qu’il a fait preuve d’unimmense courage intellectuel, d’une ténacité hors norme. Vous-même avez approché le monstre nazi avec Hôtel Terminus, le film sur Klaus Barbie qui vous a valu un oscar. Pourtant, vous n’aimez pas ce film ? Non. C’était une commande, et le tournage fut très malheureux. Ça s’est étiré en longueur, en premier lieu àcause des réticences de François Mitterrand à organiser le procès Barbie. Il avait mis le grappin sur Klaus Barbie en Bolivie, mais ensuite il a pris peur et tout fait pour qu’il crève de vieillesse en prison, sans procès. Mitterrand craignait que certaines révélations sur cette époque ne l’éclaboussent ? Evidemment. L’amitié entre Mitterrand et René Bousquet (secrétaire général à la police de Vichy, organisateur de la rafle du Vel’ d’Hiv’ –ndlr), ce n’est quand même pas rien. Le fait que le procès Barbie soit sans cesse repoussé avait pour conséquence que le tournage de mon film s’enlisait. Etpuis, j’en avais marre de faire des films sur les Juifs et les nazis (rires)… J’ajoute que Barbie n’était pas lameilleure approche

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Sur le tournage d’Hôtel Terminus en 1988

Coll. Prod DB

“Marlène Dietrich était extrêmement généreuse de son corps, c’était pour elle un signe d’amitié. C’est vraiment con de ma part de ne pas en avoir profité”

du sujet. Shoah constitue l’approche directe et totale de la question. Avec November Days, vous ne parlez plus de Juifs et de nazis mais vous restez en Allemagne et dans l’histoire du siècle, avec la chute du Mur. C’était aussi une commande, mais dont je suis satisfait. D’abord parce que ce film est court. Ensuite parce qu’il aété facile à faire. Il était produit par laBBC, les meilleurs employeurs de ma vie. Nos amis Rosbifs ne raffolaient pas tellement de l’idée de la réunification allemande. Ils se sont peut-être dit: “Si on demande à un Juif de faire ce film, on pourra masquer notre manque d’enthousiasme” (rires)… Ils se sont gourés, parce que j’étais complètement favorable à la réunification ! J’ai toujours été en faveur de l’autodétermination des peuples et, de plus, la chute du Mur était une victoire sur ce qu’il restait de totalitarisme en Europe. Dans Veillées d’armes, pas d’Allemands, mais on retrouve des conflits sanglants, des fascistes, des massacres au cœur de l’Europe. Mon idée première a germé pendant la première guerre du Golfe. J’avais été frappé que tous les journalistes attendent dans un hôtel de Riyad le feu vert du général Schwarzkopf –une situation burlesque. ASarajevo, mon caméraman et moi nous déplacions enstop. Encore un projet où il n’y avait pas de pognon ! Il était difficile de se balader sur Sniper Alley sans voiture blindée. Vous risquiez votre vie sur ce tournage ? Moui… comme tout le monde. Quand j’avais tourné dans la Bolivie du général Banzer pour Hôtel Terminus, c’était plus

hasardeux que la Yougoslavie. La Bolivie m’a valu un trou dans la tête qui a probablement été fait par des barbouzes. Vous êtes marié de longue date, mais vous parlez ouvertement des femmes dans le livre. Vous racontez notamment une journée avec Marlène Dietrich avec laquelle il ne s’est finalement rien passé de sexuel. Marlène était extrêmement généreuse de son corps, c’était pour elle un signe d’amitié. C’est vraiment con de ma part de ne pas en avoir profité. Elle avait 60ans, était encore très belle, et elle me donnait de nombreux signes de bonne volonté (rires)… Mais ma timidité a été la plus forte. Vous avez un rapport ambivalent à la Nouvelle Vague mais vous étiez très lié à Truffaut. C’est le plus grand ami de ma vie. Il admirait les films de mon père. Il cherchait dans le cinéma le père qu’il n’avait pas eu. Hitchco*ck, Renoir, Rossellini, MaxOphuls ont été ses cinéastes-pères. Qu’est-ce qu’il était beau ! C’était un séducteur. Il m’a aidé à faire mon premier film, le sketch dans L’Amour à 20ans. Godard est aussi un ami. Il était venu ici pour me proposer une coréalisation. J’y étais favorable, sauf qu’il fallait un contrat, et Jean-Luc en a horreur ! Ma relation avec Godard passe aussi par lesouvenir de François Truffaut. Il existe une sorte de solidarité amicale malgré tout ce qui nous oppose. Je me permets une question très intime, parce que vous l’évoquez dans le livre. Pourquoi avoir tenté de vous suicider ? Je n’ai pas l’impression d’avoir réussi ma vie, si c’est votre question. Un oscar,

quelques honneurs ne suffisent pas àdonner un sentiment de plénitude. Lareconnaissance ne fait pas le bonheur ! L’argent non plus, même s’il a plus de chance d’y contribuer que la célébrité (rires)… Suivez-vous l’actualité ? L’affaire Dieudonné, symptôme d’une résurgence de l’antisémitisme, vous i nterpelle-t-elle ? Bien sûr, et ça m’inquiète. Fallait-il interdire son spectacle ? C’est un débat compliqué. L’action de Manuel Valls est compréhensible, et au poste qu’il occupe, elle était peut-être justifiée. En revanche, cette action est-elle juste dans l’absolu ? C’est une autre question. Ce qui me frappe, parce que j’ai fait Le Chagrin etlaPitié, c’est le fait que ces événements seproduisent en France. La France, c’estune démocratie ancienne, c’est unpays de grande culture, c’est aussi la patrie des droits de l’homme. Or j’apprends que cet homme a énormément de succès, et pas seulement à cause de ManuelValls. J’ai essayé d’expliquer à mon petit-fils la nuance qui existe entre le racisme etl’antisémitisme: le premier est basé sur le mépris, lesecond sur l’envie. Celame semble évident chez Hitler: ilétait à Vienne, petit bonhomme sans talent vivant à côté de l’intelligentsia juive viennoise… à lire Marcel Ophuls –Mémoires d’un fils à papa (Calmann-Lévy), 312pages, 19,90€ à voir Lettre d’une inconnue de Max Ophuls, reprise en salle le19février +nouvelle édition DVD/Blu-ray le 20mars (Carlotta) ; Le Plaisir et Madame de… en DVD/Blu-ray le 19février (Gaumont Classiques)

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American Bluff de David O’Russell

Portrait d’arnaqueurs où tout le monde bluffe et se cache derrière des masques, sauf le cinéaste, qui réussit sa mue en se mettant à nu.

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n grand hôtel new-yorkais, en 1978. Un type se recoiffe devant son miroir. Plus exactement, il agrémente les quelques cheveux qui se battent sur son crâne avec une misérable touffe artificielle. Même pas une moumoute, non, juste une poignée de poils formant un petit nid ridicule, qui ne fera pas davantage illusion que la coiffe rabattue du PPDA de la grande époque. Le pire postiche de l’histoire du rajout capillaire. Le type en question s’appelle Irving Rosenfeld, il est arnaqueur professionnel et c’est Christian Bale, l’as du déguisem*nt, le roi du régime extrême –moins trente kilos par-ci (The Machinist), plus vingt par-là (The Dark Knight)–, qui lui donne son bide flasque et son regard torve. Tout en étant un pastiche éhonté de Robert De Niro, c’est sans doute l’un

de ses meilleurs rôles, car il y assume enfin la part bouffonne de son art. Postiche, pastiche : toute la problématique d’American Bluff est livrée dans ces premières minutes, bluffantes en effet. Ce n’est pas très subtil, certes, mais c’est bien le principe du bluff : en mettre plein les yeux. Autour d’Irv gravite une foule de personnages : la stupid blond girl qui lui sert d’épouse (Jennifer Lawrence), sa maîtresse, faussaire elle aussi (Amy Adams), un flic un peu trop vertueux et son supérieur scrupuleux (Bradley Copper et Louis C.K.), un maire populiste (Jeremy Renner), un parrain de la Mafia, un prince arabe, etc. Tous embarqués dans une sombre histoire d’arnaque, de politique et de corruption… Or, disons-le d’emblée, celle-ci a peu d’intérêt, et il faudra en passer par de pénibles circonvolutions narratives pour toucher, au bout du compte, le point nodal du film.

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c’est à l’acteur Christian Bale, en porte-voix du cinéaste, que revient le droit de formuler la morale du film : la triche est une question de survie

ChristianB ale, Amy Adams et Bradley Cooper

Au fond, à travers ce portrait d’arnaqueurs, David O’Russell, tout petit maître adoré par la critique américaine et l’académie des oscars, accepte enfin d’apparaître à nu, de livrer les clés de son cinéma. Un cinéma farcesque et hystérique dont l’agitation tous azimuts n’a pas toujours masqué la vacuité – Les Rois du désert, Fighter, Happiness Therapy, autant de baudruches. Si ce film-ci est différent, c’est que le cinéaste ne cherche plus à mentir sur la marchandise. Les coulis de voix off, les personnages qui marchent au ralenti, les travellings avant fugaces et les standards rock en bande sonore sont depuis longtemps des effets de signature de Martin Scorsese. Et il n’est pas anodin que Robert De Niro, venu ici faire un caméo, porte les mêmes lunettes et soit coiffé pareil que son vieux copain Marty (idée très drôle, au passage). American Bluff marche ainsi dans les pas des Affranchis ou de Casino, avec une ostentation telle que l’on ressent d’abord une gêne à contempler si pâle copie. Gêne d’autant plus forte que le maître se tient juste à côté, en pleine forme, avec son dernier chef-d’œuvre toujours à l’affiche. O’Russell a même le toupet de faire se demander à Christian Bale, admirant un faux Rembrandt, lequel de l’original ou de la contrefaçon est le plus beau…

Sa ténacité finit pourtant par payer. Dans le dernier tiers du film, une fois tous les éléments de l’intrigue laborieusem*nt posés, O’Russell paraît enfin se libérer de son complexe d’infériorité. Les scènes respirent davantage et les acteurs, tous sans exception, donnent leur meilleur –s’il est un talent que l’on ne peut dénier au réalisateur, c’est bien la direction d’acteurs. C’est finalement à Christian Bale, son porte-voix, que revient le droit de formuler la morale du film: la triche est une question de survie. Et tant pis pour la moraline et ses promoteurs à la petite semaine (cf. le flic qui voulait se payer des sénateurs). L’air de rien, après deux heures et demie de gesticulations, l’aveu fait mouche. Et prouve que O’Russell, à défaut d’être Scorsese, a retenu autre chose de son cinéma que les tics de mise en scène. Quelque chose que Le Loup de Wall Street soulignait d’ailleurs en creux: la fébrilité absolue des charlatans, la terreur derrière le masque qui en fait, à défaut de gens fréquentables, de si beaux personnages de cinéma. On ne leur en demande pas plus. Jacky Goldberg American Bluff de David O’Russell, avec Christian Bale, Amy Adams, Jennifer Lawrence, Bradley Cooper (E.-U., 2014, 2 h 18) lire aussi le portrait d’Amy Adams pp. 54-56 5.02.2014 les inrockuptibles 67

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Robocop de José Padilha avec Joel Kinnaman, Gary Oldman (E.-U., 2013, 1 h 53)

Remake conformiste du grand classique SF de Paul Verhoeven. près le remake de Total Recall par Len Wiseman, ce Robocop nouvelle génération vient confirmer que les films de Paul Verhoeven des années 80-90 sont définitivement inadaptés à la production contemporaine. C’est une question de style –pourquoi tenter de calquer un cinéma aussi affirmé? – mais surtout d’époque : Verhoeven fut un cas unique à Hollywood, un auteur séditieux infiltré dans l’économie des blockbusters, lorsque celle-ci encourageait encore les pensées singulières. José Padilha, le réalisateur brésilien de Troupe d’élite ici aux commandes, ne ménage pourtant pas ses efforts pour tenter de mettre à jour la figure de Robocop, ce flic du futur, mi-homme, mi-machine, inventé par une obscure société d’armement. La première de ses infidélités, a priori passionnante, revient à globaliser la critique du culte sécuritaire américain: Robocop, ici, est une arme mondialisée, fabriquée en Chine, exploitée en Afghanistan, et son pouvoir de nuisance s’exporte désormais partout. Venant d’un cinéaste sud-américain, l’idée prenait une résonance assez corrosive ; elle est malheureusem*nt trop vite expédiée, réduite à un simple gage de modernité. Ce qui intéresse José Padilha, c’est plutôt un reboot musclé du film original, procédant selon une logique d’accélération du récit et de grand lifting numérique. Robocop, en 2014, est une machine ultrarapide, qui trompe la gravité, bondit sur les toits d’immeubles, esquive ses ennemis mais jamais ne saigne. Dans son désir de tout conformer, de tout lisser, ce remake ira donc jusqu’à négliger ce qui faisait la beauté magnétique du film de Verhoeven : les saillies gore, images d’une humanité en pièces détachées, cœur battant d’un mélodrame de chair et de métal devenu un simple blockbuster d’action insensible. Romain Blondeau

A Marc Zinga et Benoît Poelvoorde

Les Rayures du zèbre de Benoît Mariage Une aimable “dramédie” portée par le clown fébrile Poelvoorde en beauf mafieux pathétique. n soupçon de mauvaise blague postcoloniale pèse évidemment sur Les Rayures du zèbre, comédie dramatique sur le recrutement de footballeurs en Belgeafrique. Soupçon que Benoît Mariage évacue quasi instantanément en introduisant le personnage de dénicheur de talents de José (Benoît Poelvoorde) comme un beauf macho et discrètement raciste. Il marche néanmoins sur des œufs: le malaise pressenti ne s’efface jamais vraiment –“maintenant, son père c’est moi”, asséné au papa de son protégé Yaya pendant un contrôle douanier houleux–, mais se diffuse assez heureusem*nt à tous les mâles blessés, noirs ou blancs, qui peuplent le film. Poelvoorde et ses collègues du football belge dessinent le portrait d’une virilité malsaine de gros bébés bouffis, encore ivres de dominer mais réduits à jouer aux mafieux pathétiques pour des clubs de seconde zone, échouant à rester des hommes à femmes quand ils tombent naïvement amoureux des prostituées d’Abidjan, etc. La capacité du film à garder le cap malgré tout ce qui menace de le faire sombrer dans la vulgarité d’une part, et surtout dans le naufrage idéologique (il a bon fond, ce raciste !), peut faire des Rayures une “dramédie” acceptable, mais c’est principalement à Poelvoorde qu’il faut en donner le crédit. Comme poussé dans ses retranchements par le récent succès d’un François Damiens venu chasser sur ses terres, l’acteur réaffirme sa belgitude de clown malade et fébrile. C’est lui et lui seul qui met du sel dans un film qu’on parvient certes à ne pas trouver gênant, mais qu’un puissant show-man rend, par dessus le marché, assez électrique. ThéoRibeton

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Les Rayures du zèbre de Benoît Mariage, avec Benoît Poelvoorde, MarcZinga (Fr., Belg., 2013, 1 h 20) 68 les inrockuptibles 5.02.2014

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Louise Bourgoin et Mathias Brézot

Un beau dimanche de Nicole Garcia

Un jeune bourgeois en rupture, une fille qui galère, l’amour impromptu : du romanesque psychologique non sans pesanteurs.

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aptiste (Pierre Rochefort), enseigne dans plusieurs écoles du sud de la France – par choix, il a décidé de rester remplaçant. Quel est donc le mystère qui habite ce Baptiste pas aussi tranquille qu’il en a l’air ? La veille d’un week-end, il raccompagne chez son père un de ses élèves, Mathias. Mais le père avait oublié: autre chose à faire, une autre vie, une autre femme (on dirait du Claude Lelouch). Alors, contre toute vraisemblance (mais c’est aussi ce qui est beau et intrigant), Baptiste décide de garder Mathias pour le week-end. Surtout, dans un restaurant à paillotes en bord de mer, Baptiste va faire la connaissance de la belle Sandra (Louise Bourgoin), qui est bien endettée auprès de voyous assez inquiétants et va une nouvelle fois devoir repartir de rien, quitter la région, se refaire une nouvelle vie ailleurs.

Pour l’aider, Baptiste décide de renouer avec son passé. Avec sept films à son actif comme réalisatrice (dont Un week-end sur deux, Place Vendôme, Selon Charlie), Nicole Garcia a toujours tenté de s’inscrire dans une lignée romanesque du cinéma français. Lignée qui va, en gros, de Claude Sautet à André Téchiné en passant par Olivier Assayas (elle a aussi en commun avec certains d’entre eux d’avoir souvent travaillé avec le scénariste Jacques Fieschi). Jusque-là, pas de problème. On admet ainsi sans grande difficulté la césure narrative entre un contexte réaliste (le monde actuel, ses réalités économiques et sociales, la monoparentalité, un jeu d’acteurs naturaliste) et le tour littéraire, fantasmé, romanesque, oui, que prend le retour de Baptiste dans sa grande famille bourgeoise (manoir, jeu très théâtral, personnages très archétypaux). Seulement, la mise en scène est un peu à la traîne,

manque de souffle pour tenir ce pari audacieux. Pierre Rochefort (fils de la réalisatrice et du comédien Jean Rochefort) peine un peu à se mettre à la hauteur d’un personnage assez difficile à interpréter, puisqu’il doit à la fois exprimer un détachement, une labilité psychologique, et incarner la force et la volonté qui se tapissent en lui. Si bien qu’on finit par se demander si cette histoire de rupture familiale, de refus d’héritage ne serait pas un peu le portrait du comédien Pierre Rochefort: comment trouver sa place dans la vie sans rompre avec ses parents ? Le hiatus, et l’échec partiel du film, résidant dans le fait même d’avoir accepté d’être filmé par sa propre mère. Paradoxe: c’est aussi ce qu’il y a de plus émouvant dans le film. Jean-Baptiste Morain Un beau dimanche de Nicole Garcia, avec Louise Bourgoin, Pierre Rochefort, Dominique Sanda (Fr., 2014, 1 h 35) 5.02.2014 les inrockuptibles 69

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les indés bougent encore Portrait sensible d’un jeune homme de l’enfance à l’âge adulte, Boyhood de Richard Linklater est la sensation du dernier festival de Sundance.

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our les 30ans de Sundance, son fondateur, Robert Redford, était d’humeur douce-amère. “Comment ne pas être satisfait d’un succès ? Mais les premières années étaient les meilleures”, déclarait-il au Hollywood Reporter. Celles de l’âge d’or –de la toute fin des années80 au milieu des années90 –, où petit* moyens, grandes idées et rejet du mainstream révélèrent à Park City (Utah) les Soderbergh (Sexe, mensonges et vidéo), Stillman (Metropolitan) ou Smith (Clerks) dans une ambiance happyfew. Depuis, le marketing a envahi la station de ski et le film indéUS est devenu un réservoir à clichés, résumé par la vidéo Not Another Sundance Movie visible sur internet: plans gorgés de soleil et d’enfants au ralenti, Michael Cera partout, bonne conscience, excentricité mignonne… Et pourtant le grand film de ce Sundance2014, Boyhood de Richard Linklater, reprend ces codes en insufflant chaleur nouvelle et flair conceptuel: le vétéran de Sundance (déjà présent en 1991 pour Slacker) fait le pari de filmer un même personnage (incarné par l’épatant Ellar Coltrane) sur douzeans, de l’enfance à l’entrée dans l’âge adulte. Cette série de vignettes sensibles est antispectaculaire mais produit de l’épique –le film dure troisheures.

La mesure du temps écoulé se fait sans maquillage ni effets spéciaux, mais avec la voix qui mue. Fan de retrouvailles (la trilogie des Before), Linklater décuple l’effet dans ce “12 Year a Boy” dont on sort ragaillardi d’avoir tout simplement vu un gamin grandir et un acteur s’épaissir. Ne désespérons pas non plus des jeunes cinéastes indés, surtout quand ils ont sous le bras 16mm, humour et plaisir des acteurs. A 32ans, Joe Swanberg compte dix-sept films à son actif, tournés en impro, avec un microbudget et l’envie folle de scruter l’intimité de couples, de fixer l’instant. Happy Christmas ressort le clash sœur immature/famille responsable mais avec un vrai sens du quotidien, des personnages et Lena Dunham (Girls) en bonus grinçant. Plus ambitieux, Listen up Philip d’Alex Ross Perry donne à Jason Schwartzman son meilleur rôle depuis des lustres, en écrivain ultra méprisant dévastant avec entrain son entourage –dont une Elisabeth Moss intrigante en petite amie délaissée mais pas dupe. Le film convoque Allen et Cassavetes mais trouve sa voix, creusant l’antipathie surnaturelle de Schwartzman comme source de gags et clamant haut ses influences littéraires, Philip Roth en tête. Alors, Robert, all is lost ? Heureusem*nt non. LéoSoesanto 30th Sundance Film Festival

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Mekong Hotel d’Apichatpong Weerasethakul Inédit en salle, le moyen métrage mystérieux et méditatif de l’auteur d’Oncle Boonmee sort directement en DVD. pichatpong Weerasethakul en Weerasethakul personne écoute et regarde –glorieux un guitariste composer récipiendaire de et interpréter la musique la Palme d’or à Cannes en du film qu’il prépare, et qui 2010 pour Oncle Boonmee se trouve aussi être celui (celui qui se souvient de que nous sommes en train ses vies antérieures)– a de regarder. Et qui n’existe toujours, au moins depuis peut-être pas, puisqu’il est Blissfully Yours (2002), clairement dit qu’il ne verra le film qui nous le fit peut-être jamais le jour… découvrir en Europe, situé Weerasethakul se joue son cinéma aux frontières: de la mise en abyme, à celle, concrète bien que la détourne, la repousse, symbolique, entre deux et crée une zone de flou, pays et Etats; à celle incertaine, inconnue, du monde des vivants et où naît sans être tout à fait de celui des morts; à celle un bidule, ce “ruban de rêve” du documentaire et de la (selon la vieille formule fiction. Mekong Hotel, édité d’Orson Welles) dont nous aujourd’hui en DVD après sommes les spectateurs… avoir été présenté en 2012 Etrange objet, donc, hors compétition à Cannes, que ce Mekong Hotel et qui n’a pas connu de aussi étrange que L’Année sortie en salle, n’échappe dernière à Marienbad. Une pas à la règle. fois de plus, tout bouge, Géographiquement, se meut, tremble et vibre il se déroule dans un hôtel à la frontière entre le désuet et colonial situé réalisme et l’onirisme, le à la frontière, bien réelle, rationnel et le fantomatique, entre la Thaïlande entre la putréfaction des et le Laos, concrétisée par corps et leur expansion le passage du Mékong. bien vivante et vigoureuse Formellement, il décrit (le sexuel), entre l’actualité une nouvelle frontière: (une inondation qui a celle, tripartite, entre la vraiment eu lieu pendant préparation d’un film, son le tournage) et l’éternel tournage et le film en tant (les spectres qui reviennent que tel. Dans les coulisses hanter les vivants et d’un long métrage à venir, ronger leurs entrailles),

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entre le lugubre et l’humour (Weerasethakul est un rigolo). Accompagné tout du long par cette guitare hypnotique qui ressasse le même thème, le film fluctue avec langueur au rythme du Mékong, formant une atmosphère propice à la rêverie, à la contemplation des éléments et des sentiments des personnages. Mekong Hotel dure une heure, il aurait pu en durer trois, ou trois cents. Qu’importe. Le temps ici semble à la fois figé et infiniment mouvant. Un opus plutôt modeste en apparence, mais résolument sublime et génial. Jean-BaptisteMorain Mekong Hotel d’Apichatpong Weerasethakul, avec lui-même, Jenjira Pongpas, Sakda Kaewbuadee (G.-B, Thaï., 2012, 1 h 01)

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Julie est amoureuse de Vincent Dietschy

Edition en DVD d’un très beau premier film méconnu des années90. Une variation splendide et solaire sur les incessants allers-retours entre le théâtre et la vie.

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incent Dietschy a 49ans. Il n’a fait que deux longs métrages (dont Didine, sorti en 2008) et un moyen (La Vie parisienne). On le déplore, car il suffit deparler cinq minutes aveclui pour être captivé par l’incessant flot d’idées quicolore son regard d’uneflamme à l’étrange opalescence. Juste deux longs métrages donc, mais un premier film, Julie est amoureuse, si riche qu’il en contient une dizaine d’autres. Le temps d’un été, une petite troupe de théâtre répète Roméo et Juliette dans un château. Bientôt, lemetteur en scène défaille,

le film atteint cette confusion merveilleuse à laquelle seul Renoir avait su parvenir

la représentation est dans les choux. Sur ce suspense (la représentation va-t-elle quand même avoir lieu ?) segreffent une série de quiproquos sentimentaux. L’argument est classique: rimes et amours, petites trivialités du désir rejouées sur scène, vérités de la vie et du théâtre qui s’échangent, et en sus une belle dialectique, “l’amateurisme vs le professionnalisme”, qui anime en profondeur l’essence du cinéma français. C’est la drôlerie desacteurs qui frappe d’abord, avec en trio de tête FrançoisChattot (grandcorps d’échalas agitéd’éclats), Anne LeNy (corps érotiquement modiglianesque et malicieusem*nt doté de joues rondes) et Simone Guertner (faconde furieuse). Charme et rapiditédonc ?

Attention aux malentendus: le film n’a rien à voir avec un marivaudage de plus, une vigueur en fortifie lesaimables arabesques. C’est le mélange de naturel et de relief stylisé qui frappeensuite. Comment obtenir tant de vie dans le détail des scènes et tant de style dans l’ensemble ? Comment concilier le geste qui libère (la nature des acteurs) et celui qui retient (pour dessiner le trait général) ? Tout n’est que bonheur dansce film, qui ne cesse, au fur et à mesure que lespéripéties s’engendrent et fleurissent, comme innervées par une loi organique débridée, de déployer les mille et un plis du pari initial. Un temps, ona pu croire que le film n’était qu’un miracle. Ensuite, on comprend qu’ils’agit d’un véritable savoir de cinéma

que détient Vincent Dietschy. Car ce bonheur qui irrigue les scènes n’est qu’un masque. Lequel ? Celui de l’art, en toute simplicité, qui avance à pas furtifs. Le film atteint cette confusion merveilleuse à laquelle seul Renoir avait su parvenir: cet épanouissem*nt à l’écran, est-ce celui du bonheur ou de l’art ? C’est donc un savoir ancien que possède Dietschy, mais qui rajeunit d’un coup, à la toute fin, sous les traits d’une jeune fille. Naissance d’une actrice, naissance d’un spectateur, fierté de l’existence du cinéma français. AxelleRopert Julie est amoureuse deVincent Dietschy, avec Marie Vialle, François Chattot, AnneLe Ny, Simone Guertner (Fr., 1998, 2 h 06), Shellac, environ 20€

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Melinda Sue Gordon/Sony Pictures Television/Netflix

Kevin Spacey et Robin Wright dans House of Cards

la France attend Netflix L’opérateur de streaming prépare son arrivée dans l’Hexagone, étape majeure mais complexe de sa stratégie de domination du monde – rien que ça ?

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u début des années 2000, les amis américains recevaient avec des étoiles dans les yeux les enveloppes d’un service de location de DVD par correspondance, au catalogue débordant de séries et de films. En France, seuls les spécialistes connaissaient Netflix, né en 1997 à Los Gatos, Silicon Valley. Aujourd’hui, les fameuses enveloppes sont en voie de disparition –les abonnés regardent le contenu directement sur internet– mais Netflix n’a plus rien d’un mirage lointain. Florissante, l’entreprise s’est implantée dans le monde entier pour atteindre près de 44millions d’abonnés (dont 33millions aux USA). En France, elle fait partie du vocabulaire courant des amateurs de séries. Les plus pressés contournent les blocages par pays via une manipulation technique simple (masquage de l’adresse IP de leur ordinateur) et s’offrent un abonnement à 7,99dollars pour se vautrer dans un océan de dizaines de milliers de références. Binge watching, quand tu nous tiens. Les autres pourraient ne plus avoir à attendre longtemps. Alors que la rumeur bruissait depuis plusieurs années, l’arrivée de Netflix en France se précise pour l’automne. En décembre 2013, plusieurs représentants de la firme ont rencontré le conseiller de François Hollande en matière de médias,

David Kessler, ainsi que Pascal Rogard, président de la SACD. Un peu plus tard, le grand boss Reed Hastings claquait la bise à Fleur Pellerin, ministre de l’Economie numérique, en marge d’un salon à Las Vegas. Le but ? Tâter le terrain dans un pays attaché à son exception culturelle, donc moins accueillant que l’Angleterre ou les Pays-Bas aux yeux du géant américain. La chronologie des médias française (un délai de trois ans est imposé entre la sortie d’un film et son exploitation en SVOD) est un premier obstacle, à relativiser toutefois: la loi devrait changer ce printemps, et cette chronologie ne s’applique pas aux séries télé, fer de lance de l’offre Netflix. Depuis 2013, l’opérateur propose du contenu original passionnant (House of Cards, Orange Is the New Black…) en plus de son catalogue comprenant la plupart des séries importantes, à l’exception notable des productions HBO et Starz. Le cœur du conflit réside dans les obligations qui pourraient être imposées à Netflix. Dans un entretien au JDD le 26janvier, la ministre de la Culture Aurélie Filippetti s’est voulue offensive:

“Netflix doit se plier aux régulations qui font le succès de nos industries” Aurélie Filippetti

“Je ne suis pas fermée aux nouveaux acteurs du numérique, surtout lorsqu’ils proposent une offre légale de films et de séries, une de mes priorités pour lutter contre le piratage. Mais s’il veut s’installer ici, Netflix doit se plier aux régulations qui font le succès de nos industries, notamment en matière de financement de la création.” Pas question, donc, pour l’entreprise américaine de commercialiser des abonnements en France sans soutenir (notamment) le cinéma local, comme le font les chaînes de télé et les plates-formes web. Le hic ? Ayant choisi pour base arrière européenne le Luxembourg, très avantageux fiscalement, Netflix pourrait contourner la législation. Le gouvernement a prévu des pare-feu, mais les négociations s’annoncent rudes. Le dernier obstacle à l’arrivée triomphale de Netflix est moins politique que concret. Entre Canal+ Séries et le bouquet OCS, l’offre légale de séries (certes à la télévision) a progressé de manière exponentielle ces derniers mois. En attendant l’affrontement, les concurrents potentiels aiguisent leurs couteaux. Canal+ vient de nommer Manuel Alduy, chef du cinéma depuis 2005, à la tête de Canal OTT, nouvelle division chargée des offres gratuites et payantes de contenus web, indépendantes des fournisseurs d’accès. La vie des fans de séries français change à vitesse grand V et ce n’est pas près de s’arrêter. Olivier Joyard

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à suivre… Elle fut l’une des actrices phare des années 90, elle tente de se relancer à la télévision. Sharon Stone va jouer dans le pilote de la future série de TNT, AgentX (écrit par le scénariste de La Mémoire dans la peau, William Blake Herron), où elle tiendra le premier rôle, celui de la vice-présidente des Etats-Unis. La star de Basic Instinct est déjà apparue comme guest dans The Practice, Roseanne, Will & Grace ou encore NewYork, unité spéciale.

la Fémis recrute Pour la deuxième année consécutive, la Fémis met en place un concours pour l’entrée dans sa nouvelle section Séries TV. Les candidats (âgés de moins de 30 ans) peuvent s’inscrire jusqu’au 14février. Le concours a lieu en avril et mai. Renseignements auprès de la célèbre école de cinéma parisienne ou sur www.femis.fr

Breaking Bad revit Inoubliable homme de main de Gustavo Fring, le personnage de Mike Ehrmantraut va rejoindre le casting du “prequel” comico-dramatique de Breaking Bad, Better Call Saul, centré autour de l’avocat véreux incarné par Bob Odenkirk dans la série. Le comédien Jonathan Banks vient de dire oui au projet piloté par Vince Gilligan et Peter Gould. A voir sur AMC en novembre.

agenda télé Banshee (Canal+ Séries, le 5 à 20 h 50) Après l’historique Six Feet under, le scénariste Alan Ball a signé True Blood, qui se poursuit maintenant sans lui. Le revoilà avec une série d’action mystérieuse mais pas totalement convaincante. The Walking Dead saison 4 (OCS Choc, à partir du 10) Vingt-quatre heures après les Etats-Unis, deuxième partie inédite de la saison 4 de la série de zombies, où les quelques humains qui restent tentent de survivre. Un carton mérité. Devious Maids (Teva, le 9 février) Marc Cherry, le papa de Desperate Housewives, est revenu aux affaires avec cette adaptation d’un concept mexicain, où des bonnes travaillent pour les super riches de Beverly Hills. A voir par curiosité.

Jean-Hugues Anglade

Tibo & Anouchka/Capa Drama/Canal+

Sharon Stone dansunpilote

noir c’est noir Brutale, la saison 3 de Braquo arrive sans concessions mais pleine de testostérone. lors que l’autre série policière de Canal+, Engrenages, s’applique depuis 2005 à disséquer la dynamique entre flics, juges et truands, Braquo se concentre sur le territoire plus limité de la mythologie du polar à la française, le dada de son créateur Olivier Marchal –aujourd’hui retiré des affaires. Ecrite comme la deuxième salve d’épisodes par Abdel Raouf Dafri (LaCommune, Mesrine, Un prophète), la troisième saison des aventures de Caplan et de sa bande aux méthodes discutables affirme un peu plus cette identité forcément mélancolique. Aux prises avec des mafieux venus d’Europe de l’Est, laminés en permanence par la douleur et la peur du déclin (l’un des leurs était en très mauvaise posture à la fin de la saison dernière), les héros de Braquo sont comme des ombres qui tentent de se raccrocher à quelques bribes de vie. La violence reste leur quotidien et aucune lumière ne vient éclairer le bout du tunnel. Cette vision extrême a parfois ses limites, notamment une certaine complaisance dans la violence qui peut survenir çà et là, ainsi qu’une atmosphère générale très masculine, voire saturée en testostérone –ici, même les filles ont des couilles. Ces réserves posées, on ne peut que reconnaître l’attractivité vénéneuse de la série, sa maîtrise narrative de plus en plus fine et son sens aigu du rebondissem*nt choc. Rien que dans les deux premiers épisodes de cette nouvelle saison, le monde de Braquo se retourne sur lui-même à plusieurs reprises. Les amateurs apprécieront les retrouvailles avec cet univers intranquille. O. J.

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Braquo saison 3, tous les lundis à partir du 10février, 20 h 50, Canal+ 5.02.2014 les inrockuptibles 75

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guérilla pop Après une banque désaffectée de Londres, c’est dans d’anciens bâtiments de la propagande communiste à Berlin que Breton a enregistré son second album, qui sonne comme un nouveau départ.

L Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

e Lab a disparu. Cette ancienne banque du sud-est londonien, désertée puis récupérée par des artistes du coin, a finalement été détruite. D’un point de vue fonctionnel, le lieu aura accueilli les premiers bricolages de Breton, conférant au groupe une indépendance sociale et une liberté de création jamais remises en cause par des questions matérielles. Mais par la force des choses, le Lab s’est également inscrit dans la construction même de l’identité de Breton, devenant le symbole du chaos fertile si cher à la tête pensante du collectif RomanRappak: “Je crois qu’un groupe doit fonctionner comme une histoire. Perdre le Lab était la fin d’un chapitre. Çanous a obligé à ne pas être le même groupe pour le second album. On a essayé d’aller dans un studio normal pour enregistrer comme un groupe normal –tu écris une chanson, tu vas au studio le matin, tu enregistres, tu ranges

ton matos et tu t’en vas–, mais on s’est vite rendu compte que ça ne fonctionnait pas.” Pour enregistrer War Room Stories, Roman et sa troupe sont donc partis à Berlin pour s’enfermer au Funkhaus Studio, grand bâtiment à l’allure froide, jadis haut lieu de la propagande communiste. Les conditions de création n’ont donc pas changé complètement. Cequi a vraiment évolué, c’est peut-être l’approche que Breton a désormais de sa musique. Contrairement à ceux du premier album, Other People’s Problems, les nouveaux morceaux ne sont pas des créations figées en studio, auxquelles la scène viendrait ensuite donner un peu d’existence. War Room Stories est un album plus vivant, qu’on sent plus collectif, moins contrôlé par Roman. Et s’il perd ainsi en cohérence, on découvre la façon nouvelle qu’a eue Breton de multiplier les idées, de les faire cohabiter dans une vision globale de la pop, avec à la fois

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“Breton, c’est une gentille protestation contre le fait qu’on n’aurait jamais dû être musiciens”

ses évidences et sa complexité. “La pop, pour moi, explique Roman, ça signifie qu’il y a une porte d’entrée pour accéder à une idée. Un peu comme un cube de béton avec une porte minuscule qui dévoile une sorte de chapelle Sixtine une fois que tu es dedans.” Cette porte d’entrée, on la reconnaît rapidement en écoutant War Room Stories : la première chanson, Envy, est un tube obsédant, aérien, qui sonne bien comme duBreton mais qui dévoile une lumière qu’on ne soupçonnait pas forcément chez eux. Et s’il fallait trouver le début d’une “chapelle Sixtine”, ce serait évidemment S4, deuxième morceau et sommet du disque: Breton y fait preuve d’une finesse d’écriture inouïe, et quoique tout se passe en longueur et en langueur, c’est la puissance des sons qu’on retient en fermant les yeux de plaisir. L’idée de Roman se vérifie: après ça, War Room Stories s’ouvre comme un coffre au trésor dans lequel il y aurait plein de choses étranges et belles, mystérieuses, étincelant de mille couleurs. Cetalbum en contient une dizaine. Fils d’un intellectuel expatrié à Londres, passé à l’école française puis en école d’art, Roman a la tête bien remplie. Il théorise la pop aussi bien qu’il la pratique, et ses réflexions ne sont pas celles d’un simple mélomane devenu musicien mais d’un artiste capable de prendre de la hauteur sur ce qu’il fait, et plus généralement

sur l’acte de créer. “War Room Stories fait référence au bunker où Churchill était pendant la guerre. Il y dirigeait toutes les opérations alors qu’il n’était pas en contact avec le pays. Il était protégé, mais isolé aussi. C’est comparable au moment où tu essaies d’écrire: tu es prisonnier de toutes les expériences que tu as vécues, mais tu es aussi libre dans ta tête de faire ce que tu veux.” Pour Breton, l’art est un enfermement et la musique ne s’envisage qu’entre des murs épais, dans des pièces sans fenêtres où les idées sont libres de tout réinventer. C’est sûrement dans cette abnégation, dans cette intransigeance que le groupe trouvera la force de continuer d’écrire son histoire –et celle de l’avenir de la pop. “Breton, c’est une gentille protestation contre le fait qu’on n’aurait jamais dû être musiciens. Etre un groupe, c’est embrasser son époque et aujourd’hui, ça signifie prendre tout ce que tu as à ta portée –un orchestre, Twitter, les appareils photo numériques, le field recording (enregistrements hors studios –ndlr)– et les mélanger pour créer quelque chose qui n’aurait pas pu exister il y a deux ans et qui n’existera peut-être plus dans quatre.” Rendez-vous est pris. Ondine Benetier et MaximedeAbreu photo Geoffroy de Boismenu pour Les Inrockuptibles album War Room Stories (Cut Tooth/Believe Recordings) concerts le 6 février à Cognac, le 9 à Ramonville -Saint-Agne, le 10 à Montpellier, le 11 à Lyon, le 19 à Strasbourg, le 21 à Roubaix, le 22 à Saint-Malo, le 23 à Bruxelles bretonlabs.com interview intégrale sur

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le printemps de We Have Band

Tom Oldham

On attendait des nouvelles du trio anglais depuis le fulgurant Ternion, paru en2012. Elles sont enfin là: un troisième album vient d’être annoncé, qui aura pour titre Movements et sera publié le 28avril. Un premier single, Someone, est déjà disponible. Vivement le printemps. www.wehaveband.com

Mac DeMarco : poisson d’avril Mac DeMarco vient de partager quelques nouveaux détails sur la parution de son prochain album. L’objet s’appellera donc Salad Days et, comme le garçon aime bien la déconne, il sortira le 1eravril sur l’élégant label new-yorkais Captured Tracks. Une poignée de morceaux est déjà disponible sur les internets. www.macdemarco.bandcamp.com

The Great Escape, déjà cent noms annoncés

cette semaine

Jacco Gardner à Paris

nouvel album pour Miossec Il ne faudra pas aller chercher loin le prochain album de Miossec, suite du très peu commun et plutôt rock Chansons ordinaires de2011: à paraître le 14avril, le nouvel album du Brestois s’intitulera ainsi Ici-bas, ici-même. Arrangé par le brillant Albin de la Simone et produit par Jean-Baptiste Brunhes, il révèle de beaux moments, notamment une musicalité nouvelle, avant une tournée à l’automne. www.christophemiossec.com

Actuellement en tournée européenne, le jeune musicien néerlandais fera escale ce vendredi à la Maroquinerie. L’hurluberlu de 25ans, qui a su faire revivre la pop psychédélique des années 60, y jouera les titres de son premier album Cabinet of Curiosities. le 7 février à Paris (Maroquinerie) www.jaccogardner.com

Le festival de découvertes de jeunes groupes, connu comme le South by South West anglais, commmence à révéler sa richissime programmation. On sait déjà que beaucoup de nos espoirs 2014, comme Jungle, Royal Blood, Charli XCX (photo), Circa Waves, Courtney Barnett, Denai Moore, Fyfe, Blaenavon, Arthur Beatrice, ou Benjamin Clementine se retrouveront à Brighton du 8 au 10mai pour cette neuvième édition. En attendant plus de noms à venir, la France est déjà représentée par Erotic Market, Orval Carlos Sibelius, Holy Strays, As Animals ou Cleo T. On y sera, en force. mamacolive.com/thegreatescape

neuf

Johnny Cash Bitter Ruin

Lo-Fang Suavement arrangé/ dérangé, le premier album de Lo-Fang sortira fin février chez 4AD, taillé sur mesure pour les humeurs éthérées de ce cousin californien de James Blake. Violoniste de formation et tire-larmes par vocation, il se révèle songwriter, murmureur et metteur en son d’envergure, à défaut d’être un joyeux drille. www.lo-fang.com

Si on mesure l’importance d’unjeune groupe à la taille et à la diversité de son fan-club, alors ce duo de Brighton a de l’avenir. Georgia Train etBen Richards, deux éphèbes à la pop furtive, sont ainsi adulés du grand Stephen Fry à Ben Folds, d’Elton John à la chanteuse Jarboe des Swans. www.bitterruin.com

Depeche Mode Parce que des masterings injustes des CD ont eu tendance à ratatiner les dynamiques audacieuses de ces albums de l’âge d’or (et noir) de Depeche Mode, une poignée d’albums de la période 84/93 –Music for the Masses, Some Great Reward et Songs of Faith and Devotion– ressortent en vinyles bichonnés. www.depechemode.com

Plus de dix ans après, JohnnyCash bouge encore. Cemois-ci ressortent en vinyle les cinq albums de sa période American, avec Rick Rubin à la production. Le 25 mars sortira Out Among the Stars, inédits du début des 80’s découverts par le fils de JC dans les archives familiales. www.johnnycash.com

vintage

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Arno Lam

master of cool Bosco Delrey n’est pas le grand frère maléfique de Lana mais un hobo qui a croisé Diplo, Terrence Malick, la France et qui vient faire le chien fou au festival des Nuits de l’Alligator.

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e n’est pas comme si j’avais acheté une guitare il y a deux ans.” BoscoDelrey refuse coquettement de donner son âge. Mais s’il tient à revendiquer ses heures de vol, c’est peut-être pour conjurer lesapproximations d’un buzz grandissant. Alors non, Bosco Delrey n’est pas ce jeune chanteur à bonne tête de Stroke qui auraitpiqué le patronyme de Lana Del Rey pour refourguer une poignée de chansons. Tout petit déjà, dans son New Jersey natal (il a grandi à New Brunswick), il amusait ses parents en mimant la musique sur la guitare à une corde de sa maman, qu’il avait trouvée à la cave (la guitare, pas sa maman). “Ma carrière a commencé devant mes jouets que j’alignais pour faire un public. Je m’étais fabriqué un faux pied de micro, unescène devant la cheminée. Je mettais undisque et je faisais semblant de jouer. Magrand-mère et ma tante faisaient leschœurs.” A 15 ans, adorateur des Sex Pistols, ilavait déjà composé une trentaine dechansons, et rejoint la grosse scène indélocale avec son groupe. “Je faisais mesdevoirs, puis le groupe débarquait. Onjouait dans des fêtes. J’espérais rencontrer des filles grâce à la musique…” Certes, il y a du buzz et de la référence crédible dans la suite du parcours

de BoscoDelrey. Par exemple Diplo, True Blood et Terrence Malick. En 2011, Diplo a sorti Everybody Wah, le premier album de Bosco, sur son label Mad Decent. “J’ai eu beaucoup de chance. A l’époque, j’étais dans un groupe qui n’allait nulle part. J’écoutais à la fois durockabilly et du dance-hall jamaïquain. J’aifait une chanson qui mélangeait les deux, et elle a fini par arriver aux oreilles de Diplo, qui était intéressé par mon morceau et voulait en entendre d’autres dans le même style. C’était la seule ! Je suis rentré chez moi, j’aicomposé et Diplo m’a signé.” L’album, genre de rencontre entre l’écriture candide et catchy de Buddy Holly et des arrangements electro un peu sales (comme du Alan Vega plus pop, en somme), n’a pas franchement trouvé son public. Mais il a circulé à Los Angeles: TerrenceMalick a acheté les droits pour son prochain film (Bosco, qui n’a pas rencontré le réalisateur, a même joué

des bombinettes pétulantes, garanties sans hiver, ludiques et avenantes

une scène –sera-t-elle coupée au montage ? lesuspense reste entier) et placé une chanson (une reprise de Authority Song deJohn Mellencamp) dans lecinquantième épisode de la série TrueBlood, AuthorityAlways Wins. Il y a deux ans et demi, Bosco Delrey s’est installé à Paris pour suivre sa copine. C’est là qu’il a enregistré les quatre chansons du ep TheHoled Up, et celles deson deuxième album prévu pour mars. Ilapprend le français avec la méthode Assimil et pratique la musique avec la méthode à dix mille, généreux et ouvert. Revenu des mignardises electro, et surtout animé par l’envie de ne pas se répéter, il débarque avec des bombinettes pétulantes, qui sonnent à la fois rétro (pop panoramique, des 60’s aux 80’s) et tout à fait fraîches, garanties sans hiver, ludiques et avenantes, comme des classiques décalés et coolissimes. Bosco Delrey n’est pas le frère caché de Lana, c’est plutôt le cousin d’Adam Green. StéphaneDeschamps ep The Holed Up (Belleville Music) concerts le 11 février à Paris (Maroquinerie), le 12 à Rouen, le 13 à Caen, le 14 à Saint-Avé, le 15 à La Rochelle, dans le cadre des Nuits de l’Alligator (avec Har Mar Superstar) nuitsdelalligator.com 5.02.2014 les inrockuptibles 79

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Emily Kay Bock

Milton Henry Branches and Leaves Iroko Records

Owlle France Arista/Sony A la fois flashy et mélancolique, insouciante et très personnelle, la très étrange electro-pop d’Owlle prend enfin corps. iplômée d’une école de pour contenir toute la schizophrénie scénographie, la chanteuse venue de ses envies, les mettant en scène de Vallauris –cité des potiers successivement, pour un rendu somptueux et de Picasso– se préparait et magnétique. Le premier, David Kosten, à un tout autre destin que celui des clubs. enregistre avec elle Disorder à la suite Tout ça, c’est la faute à Brian Eno: de sa victoire à l’inRocKs lab 2011. en 2005, elle tombe en arrêt devant Puis viennent Pierrick Devin (Cassius, une de ses installations, sonore et visuelle, Alex Gopher) et Myd (Club Cheval): à la Biennale d’art contemporain de Lyon. “Ils se complètent car l’un est un peu la force Depuis, Owlle s’entête à façonner tranquille et faisait le lien entre toutes mes un univers multidimensionnel (mode, vidéo idées. L’autre est plus fou et s’intéresse et danse) dont la fertilité devrait autant à Eno à plein de choses du futur. Et moi dans tout ça ? qu’à Madonna et Rihanna, autres idoles. Je suis vraiment dans ces deux extrêmes.” Venue à Paris achever son cycle Ce sont les magazines de mode aux Beaux-Arts, Owlle tombe amoureuse. et les créateurs (Lespagnard, Margiela) D’un omnichord. Cet instrument ludique qui ont adopté les premiers cette fille des années80, rappelant les vibrations dissimulant son corps de brindille derrière de l’orgue, devient son précieux totem. un personnage à la chevelure de feu Epaulée par les inRocKs lab, adoptée et aux yeux Méditerranée, intrigués par rapidement par la blogosphère grâce tant de contrastes et de désirs. Arrive enfin à son entêtant Ticky Ticky, puis intronisée un album pour l’ancrer définitivement sur les radios par son remix du Heaven dans la musique –un disque terriblement des héros Depeche Mode, la dreampersonnel et introspectif, qu’elle décide synth-pop d’Owlle séduit alors autant, de baptiser France, sans fausse modestie dans un joli grand écart déjà, la scène indie puisqu’elle porte sa nation comme hexagonale que les pistes de danse. prénom, laissant son armure d’apparat Sur son premier album, elle décide à terre. Owlle y peaufine les attributs de rassembler trois producteurs différents de son (complexe et attachant) personnage et offre un premier disque intime mais vibrant, déjà adopté, des clubs berlinois aux radios italiennes. Une vision digne de l’europop. Abigaïl Aïnouz

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concerts le 12février à Paris (Point Ephémère), le 28 à Alençon, le 1ermars à Bordeaux, le 13 à Tourcoing, le 14 à Sannois, le 19 à Nancy owlle.com

Le producteur orfèvre du reggae jamaïcain offre un écrin à une voix d’or. Roberto Sánchez est l’un des plus nobles héritiers spirituels du son jamaïcain des années70. A l’ancienne, il peaufine un reggae acoustique d’une finesse rare dans son studio A-Lone Ark, sur la côte espagnole, àquelques encablures de Santander. Après des enregistrements avec Earl Zero et Alpheus, le producteur et multiinstrumentiste accueille cette fois Milton Henry, chanteur occulte dont le principal fait d’armes reste l’excellent album Who Do You Think I Am? (1985). Sa voix n’a rien perdu de son caractère, et son chant rythmique incarne les riddims de Sánchez. Six chansons et six dubs composent les douzeplages de sable noir de Branches and Leaves. Un ruisseau de percussions nyabinghi coule le long d’Ego Dub et de belles couleurs cuivrées illuminent le refrain de Hold My Hands. L’album de reggae roots du moment. David Commeillas iroko-records.com

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Ian Crause The Vertical Axis Bandcamp Jamais récompensé, Ian Crause a inventé dans les 90’s le rock moderne. ans le post-punk anglais pour accueillir quelque chose des années90, il y avait de solide: la réédition de un groupe qui ne faisait pas The 5EPs, dont le titre explique comme les autres. l’idée. Aujourd’hui, on retrouve Un groupe qui rapidement pratiqua les morceaux publiés par Ian le post-rock avant même que Crause ces dernières années réunis le terme existe, et qui déjà avait et surtout augmentés de quelques senti l’influence que le hip-hop allait inédits. Ce recueil s’appelle avoir sur le rock. Faisant le pont The Vertical Axis et ressemble bel entre Joy Division, Public Enemy et bien à un premier album solo. et le futur, il apporta à la pop On retrouve, presque inchangés ce qui la redéfinirait plus tard: de –quoique plus surréalistes que l’expérimentation, des samples et jamais–, les bricolages sonores qui pas mal de folie new-age. Ce groupe ont fabriqué la légende. Il y a des s’appelait Disco Inferno, disparu tubes qui grincent (And On and On en 1995 après une poignée d’albums It Goes, Black Light) et des ballades et d’ep publiés discrètement à hallucinées (Suns May Rise, l’époque, et devenus cultes depuis. AWorld of Ghosts), où partout on Après la séparation, le chanteur entend la mer, les arbres, l’univers. et guitariste Ian Crause lançait On reste hagard après quelques un projet solitaire. Mais depuis, écoutes: c’est dingue de on l’avait presque oublié. Car redécouvrir Ian Crause, un de ces même s’il paraît que le silence fait illuminés sans qui Animal Collective partie de la musique, les quelques ou MGMT n’auraient peut-être morceaux publiés sporadiquement jamais existé. Maxime de Abreu n’ont pas vraiment suffi à raviver la flamme. Il faudra attendre2011 iancrause.bandcamp.com

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Billie Joe + Norah

Julien Mignot

Foreverly Reprise/Warner

Franck Monnet Waimarama Tôt ou Tard Décentré en Nouvelle-Zélande, ce revenant nous rappelle qu’il nous manquait. n aimerait écrire une carte néo-zélandais) fait figure d’œuvre épurée, à Franck Monnet. On lui dirait comme s’il avait été écrit dans le désert. combien Paris est froid en février, Etc’est drôle, parce que ses camarades combien la mer nous manque de label, Vincent Delerm et Albin De et combien on paierait pour le rejoindre La Simone, ont fait le même coup en2013. à l’autre bout du monde. Car Franck Comme s’ils essayaient de nous dire Monnet vit maintenant en Nouvelleensemble que le temps passe et qu’il vaut Zélande, dans un village de bord de mer mieux prendre ça à la légère. De ce point dont le seul nom éclaire le ciel et fait de vue, Waimarama réussit au-delà des guili-guili dans le ventre: Paekakariki. de toute espérance. Maxime de Abreu La vie doit être douce là-bas, car pendant totoutard.com huit ans Franck Monnet n’a pas sorti d’album. Il a fait d’autres choses, dont un enfant. Son retour musical parle d’ailleurs de ça: devenir adulte mais tourner le dos au monde, redécouvrir l’extase dans les petites choses, aimer fort et le dire avec des mots simples. Dans une discographie très inégale, ce Waimarama (du nom d’un autre village

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L’hommage de Norah Jones et du chanteur de Green Day aux Everly Brothers. Pas besoin de raison particulière pour commémorer les harmonies célestes des Everly Brothers: cet album est sorti avant le décès de Phil Everly, début janvier. Improbable mais réussie, l’alliance formée par Norah Jones, nymphette du soft-jazz, et Billie Joe Armstrong, leader de Green Day, s’attaque à l’album Songs Our Daddy Taught Us (1958). Comme son nom l’indique, il s’agit à l’origine de chansons que papa Everly fredonnait à ses deux fils, revisitées par ceux-ci, puis aujourd’hui par Norah et Billie Joe avec une spontanéité charmante et un minimalisme pertinent. On en retiendra une leçon d’éducation: chanter à sa progéniture Down in the Willow Garden, une murder ballad vénéneuse aux paroles glaçantes, engendrera des voix d’anges. Noémie Lecoq billiejoeandnorah.com

The New Mendicants Into the Lime One Little Indian/Pias Réunion au sommet des grands manitous des Pernice Brothers et de Teenage Fanclub. séparées des deux La rencontre entre Joe –rien ne dépasse. songwriters. C’est souvent Pernice et Norman Blake La malice de Out of the aux Byrds qu’on songe, ressemble fatalement à un Lime et la fougue de Lifelike feel good movie désarmant. caressé par ces harmonies Hair réveillent un peu, de poche: Follow You Pourtant, si le groupe en fin de parcours down fait preuve d’une joue habilement avec de ce court album inoffensif délicatesse pas entendue les canoniques codes pop, et savoureux. RémiBoiteux depuis les premiers le résultat ne prétend pas thenewmendicants.com Belle And Sebastian aux hauteurs des réussites 82 les inrockuptibles 5.02.2014

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Thee Silver Mt. Zion Memorial Orchestra Basile Fournier

f*ck off Get Free We Pour Light on Everything Constellation/Differ-ant

Raymonde Howard Le Lit – BO We Are Unique/La Baleine Après quatre ans de silence, retour en grâce de la fée électrique omme Marion Gaume a ramené Mesparrow de Londres, Laetitia Fournier a elle aussi ramené un virus d’Angleterre: Raymonde Howard. Déjà contaminée, avant son départ, par d’autres adorables maladies honteuses de la guitare –le punk-rock, lanoise–, la Stéphanoise s’est ainsi libérée loin de ses bases, profitant outre-Manche de l’appel d’air de PJHarvey. Se fondant dans l’anonymat de cette nouvelle vi(ll)e, elle s’est inventé ce double, cette nouvelle peau et l’eczéma qui la démange, en une musique complexe, acide, qui passe en un saut d’humeur vagabonde du blues le plus rugueux à la soie la plus fine. De plus en plus ambitieux, de moins en moins renfrogné, son rock épineux s’offre même ici et là d’étonnants moments pop, enjoués et béats (Push the Envelope). Comme sur le nouvel album du Prince Miiaou, cette bravitude, même si brève (15minutes, 8 chansons), rappelle que chez ces filles électriques de la France libérée la guerre n’est pas finie, mais que les armes, de séduction massive, ont bien changé. JD Beauvallet

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raymondehoward.free.fr

Le groupe-frère de Godspeed revient : bruit, lumière et liberté retrouvent leurs maîtres. “Nous vivons sur une île nommée Montréal et nous faisons beaucoup de bruit, parce que nous nous aimons.”Ainsi débute, dans la bouche d’un gamin, le septième album du “Tra-LaLa Band”. Faire beaucoup de bruit, grimper suffisamment pour, la grâce au cœur et la rage dans le geste, éventrer le soleil et déverser sur lui les éclatantes lumières d’un Himalaya sonique: la manière forte et la manière belle d’aimer le monde. En le bousculant, en le malmenant, en lui secouant les puces et quand il le faut, comme le groupe frère Godpseed You! Black Emperor, en effrayant ses laideurs par la puissance du tonnerre électrique. Aimer le monde en lui offrant surtout à nouveau, dans ces escalades démentes et ces morceaux infinis (dix minutes pour l’âpre introduction f*ck off Get Free (for the Island of Montreal), onze pour What We Loved Was Not Enough, grandiose équilibre entre Arcade Fire et Spiritualized, quatorze pour la terrifiante Austerity Blues), cette valeur précieuse que la crise et ses frousses finissent par rendre inabordable, la liberté. Une folie orchestrée où rien n’est laissé au hasard, laissant pourtant la liberté à ces voix hurlées ou plaintives, ces violons dingues, ces guitares sans limites et ces cuivres incandescents, de redessiner la vaste étendue de tous les possibles. ThomasBurgel

la découverte du lab MS Crew Nouveau contre-pouvoir du rap, Montpellier est le terrain de jeu d’une jeune génération de MC aux revendications pacifistes mais pas si tendres. ans la lignée de Joke, Set & Match et encore plus récemment Perfect Hand Crew – lauréats inRocKs lab 2013 –, Montpellier vient à nouveau cogner à la porte du hip-hop français pour présenter deux de ses nouvelles frappes, Bilna et Pakis, rassemblées sous le pseudo MS Crew. Ces deux caïds des punchlines, qui se sont rencontrés sur les bancs du collège, commencent à rapper “sans se prendre la tête” en racontant leur vie, de manière décomplexée et spontanée. Après un rapide séjour dans les studios de Canal Street et une première partie de DJNelson (le champion du monde DMC 2011), ils enregistrent leur premier ep, Le temps ne fait rien à l’affaire, à la maison avec les moyens du bord. Puis MS Crew s’entoure progressivement d’une flopée d’artistes dont une équipe vidéo solide (réalisateurs de So Films) mais aussi de Jean-Paul Bocaj ou du peintre montpelliérain qui signe leur pochette. Ce premier disque, paru à la fin de l’année 2013, dévoile deux titres prometteurs, Plus l’temps et Happy Day, qui trahissent leur affection particulière pour les bons vieux Wu-Tang Clan, Busta Flex ou encore Ministère A.M.E.R, radoucis sous le soleil de la Méditerranée. Menant parallèlement leurs projets perso, Bilna et Pakis montent au front pour se faire une place dans le game français, le sourire et la bonne rime aux lèvres. Abigaïl Aïnouz

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en écoute sur lesinrockslab.com/mscrew

retrouvez toutes les découvertes sur lesinrockslab.com

concerts le 18 février à Feyzin, le 19 à Limoges, le 20 à Nantes, le 21 à Saint-Malo (Route du rock), le 11 mars à Paris (Cigale) tra-la-la-band.com 5.02.2014 les inrockuptibles 83

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Supreme Cuts Divine Ecstasy Memphis Industries/Pias Les beatmakers de Chicago défrichent de nouvelles voix sur un album éclectique et sublime. n hochant la nuque sur le ep prometteuse Mahaut Mondino du prodigieux MC de 16ans (fille du photographe) ; Py, qui surnommé Haleek Maul dompte avec panache un galop (Oxyconteen, chez Merok drum’n’bass, et les virils Records), on pouvait deviner que Shy Girls de Portland, dont ses producteurs, Supreme Cuts, le premier album devrait avaient mariné dans le hip-hop être un des bonheurs du printemps. pendant une bonne partie de La palette de Supreme Cuts leurjeunesse. Le duo de Chicago s’élargit sensiblement sur ce disque, atoujours cité Mannie Fresh passant d’une electro-soul obscure etTimbaland comme influences, à du r’n’bling qui les transforme etdepuis quelques années aussi presque en cousins américains Brian Eno et Basinski. “Aujourd’hui, d’AlunaGeorge. Cette extase divine nous voulons faire une musique promise dans le titre se consume danslaquelle tu puisses t’immerger parfois dans la pénombre d’un club, pleinement, totalement”, disaient-il au bar ou sur la piste, quelques àla sortie de Whispers in the Dark heures avant l’aube. Qui peut en 2012. résister à l’appel du dance-floor Sur ce second épisode, les deux lorsqu’il est lancé par Channy, de donnent enfin de la voix. Plus Poliça, sur le fracassant Envision ? DavidCommeillas exactement, ils empruntent de la voix à des invités soigneusem*nt www.supremecuts.bandcamp.com sélectionnés: la jeune et

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various artists SND.PE Vol. 02 – Crossover Series Sound Pellegrino Retour pétaradant de l’écurie qui mélange les familles pour la joie du dance-floor. Quelques mois seulement Series sera ici de faire après leur coup d’essai, dialoguer les genres sur TekiLatex et org*smic une idée simple : proposer reviennent tordre le cou àdeux DJ de collaborer aupurisme electro. surun morceau, confrontant Pourtant, sur cette deuxième les esthétiques dans des compilation de leur label, assemblages pas forcément ilne s’agira ni de prôner évidents. On retrouve ainsi l’éclectisme à tout prix, dix expériences audacieuses, nide draguer le mainstream allant de la techno en arriviste cynique. hypnotique (Truncate & L’objectif de ces Crossover TWR72) à l’ambient la plus

douce (Helix & Hrdvsion) en passant par des beats vintage (Crystal & Ikonika) et quelques trucs vraiment pas identifiables (Dexter & Gant-Man). Ce qui domine à chaque fois, sans exception, c’est l’étonnement et l’envie d’en découdre avec les habitudes. Maxime de Abreu www.snd.pe

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dès cette semaine

Assis ! Debout ! Couché ! du 21 au 23/3 à Nantes, avecYuksek, Moodoïd, AcidArab, etc. Babyshambles 10/2 Strasbourg, 11/2 Lille, 13/2 Ramonville, 14/2 Mérignac, 15/2 Lyon Breton 6/2 Cognac, 9/2 Ramonville, 10/2 Montpellier, 11/2 Lyon, 17/2 Zurich, 18/2 Lausanne, 19/2 Strasbourg, 21/2 Roubaix, 6/3 Paris, Cigale, 7/3 Rouen, 8/3 Saint-Avé Danny Brown 1/3 Paris, Bataclan Neneh Cherry 1/3 Paris, GaîtéLyrique Bootsy Collins 19/2 Caen, 20/2 Paris, Trianon Darkside 18/3 Nice, 19/3 Nîmes, 20/3 Bordeaux, 21/3 Nantes, 23/3 Paris, Olympia Disclosure 19/3 Villeurbanne, 20/3 Paris, Olympia Drake (+ The Weeknd) 21/2 Montpellier, 24 & 25/2 Paris, Bercy Fauve ≠ du 3 au7/2 Paris, Bataclan, 12/2 Toulouse, 13/2 Istres, 18/2 Rennes, 19/2 Le Mans, 20/2 Niort, du 4 au 8/3 Paris, Bataclan Fireworks! Festival du 12 au 23/2 à Paris, avec Tuung, Willis Earl Beal, Wild Beasts, etc.

Free Your Funk 15/3 Paris, Yoyo,avec PedroWinter etCut Killer Childish Gambino 10/2 Paris, Trabendo Festival HipOPsession jusqu’au 8/3 à Nantes, avec St.Lô, Clear Soul Forces, etc. James Vincent McMorrow 20/2 Paris, GaîtéLyrique Connan Mockasin 5/2 Tourcoing, 6/2 Caen, 7/2 Nantes, 8/2 ClermontFerrand, 18/2 Belfort, 19/2 Paris, Trianon London Grammar 25/2 Paris, Casino de Paris, 1/3 Lyon

Metronomy 15/4 Lausanne, 25/4 Toulouse, 26/4 Nantes, 28/4 Paris, Zénith, 29/4 Lille, 30/4 Caluireet-Cuire Nasser 8/2 Ris-Orangis, 15/3 Marseille, 21/3 Nancy, 5/4 Paris, Bataclan Les femmes s’en mêlent du 18/3 au 4/4 à Paris et dans toute la France, avec Cults, LePrince Miiaou, Anna Aaron, SirAlice, etc. Nuit 104 15/2 Paris, 104, avecEllen Allien, Jonny Woo, Rocky, etc. Les Nuits del’Alligator du 5 au 12/2 à Paris, Maroquinerie,

nouvelles locations

en location

retrouvez plus de dates de concerts dans l’agenda web sur inRocKsLive.com Bordeaux, Toulouse, Nantes et Toulon, avec Har Mar Superstar, Adam Green, Sarah McCoy, Kid Karate, etc. Only Real 20/2 Paris, Point Ephémère Pégase 6/2 Rennes, 8/2 Nantes 12/2 Paris, Nouveau Casino, 15/2 Saint-Avé, 20/2 Tourcoing, 21/2 Reims, 22/2 Lyon, 27/2 ClermontFerrand, 28/2 Marseille, 1/3 Bordeaux Pendentif 21/2 Châteauroux, 22/2 Annemasse,

6/3 Roubaix, 15/3 Angoulême, 22/3 Pau, 27/3 Canteleu, 28/3 Saint-Brieuc La Route du rock collection hiver du 19 au 23/2 à Saint-Malo et Rennes, avecBreton, Willis Earl Beal, Thee Silver Mt. Zion Memorial Orchestra, etc. Savages 16/2 ClermontFerrand, 17/2 Toulouse, 20/3 Lyon, 21/3 Paris, Gaîté Lyrique Schoolboy Q 6/5 Paris, Bataclan, 7/5 Strasbourg, 12/5 Lyon

Sons d’hiver jusqu’au 16/2 à Paris et dans le Val-de-Marne, avec Roscoe Mitchell, CodyChesnutt, Pere Ubu, etc. Earl Sweatshirt 19/3 Paris, Trabendo Festival Tilt du 20/3 au 23/3 à Perpignan, avec Kavinsky, Pachanga Boys, etc. Toy 3/3 Paris, Nouveau Casino Woodkid 7/2 Paris, Zénith, 13/2 Toulouse, 14/2 Montpellier, 15/2 Rennes, 18/2 Lille, 21/2 Lyon

aftershow

Metronomy le 29 janvier à Brighton,The Old Market Depuis des mois, avec son mélange réjouissant de maniaquerie etde nonchalance, Metronomy répète à Brighton. La cité balnéaire a donc l’honneur du concert d’ouverture, dans un petit théâtre coquet, de la tournée 2014, la première depuis l’automne 2012. Avant de retrouver les Zénith en avril, le groupe joue encore sans décorum, à peine unifié par ses costumes en velours à la Ron Burgundy, avec comme seul light-show, belle comme une lowrider de samedi soir à Miami, la batterie illuminée de laformidable Anna Prior. Mais le son, lui, est déjà diaboliquement réglé, à la fois très pop(ulaire) et toujours expérimental: musiqued’utopie, qui éloigne de la terre. Le geste a beau être encore raide, affolé parfois, Metronomy joue déjà puissant, de plus enplus funky, parfois en un genre de northern soul alanguie. Fierde présenter enfin son nouvel album, mais ménageant le public avec ses tubes garantis, Metronomy offre un best-of passé/ futur dans lequel s’intègrent parfaitement les nouveaux hauts faits, comme I’m Aquarius, Love Letters ou The Most Immaculate Haircut. Avant le concert, la sono bastonnait de la soul et la BO deHair: le groupe a continué dans cette veine. JDBeauvallet 5.02.2014 les inrockuptibles 85

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la fin de l’innocence Témoignage phare d’une plongée dans l’enfer de la guerre du Vietnam, le roman culte et autobiographique de Ron Kovic Né un 4juillet, adapté au cinéma par Oliver Stone, est réédité.

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uelle chance incroyable d’être né le jour de l’indépendance de mon pays. J’en étais empli d’orgueil.” Ron Kovic est né le 4 juillet 1946. Bon jour, mauvaise année: s’il a vu le jour au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il est devenu majeur au moment où Lyndon Johnson engageait les Etats-Unis un peu plus avant dans le bourbier vietnamien. La suite, on la connaît; l’histoire de Ron Kovic fut portée à l’écran par Oliver Stone en1989, avec Tom Cruise, faisant de Né un 4 juillet une œuvre majeure de la lutte pacifiste.

littérature en guerre Publié en 1939, Johnny s’en va-t-en guerre est un classique en matière de livres de guerre. Dalton Trumbo y raconte le réveil, dans un lit d’hôpital, d’un soldat de la guerre de 14-18 qui a perdu ses jambes, ses bras, et a le visage détruit. 1962: les Etats-Unis se sont engagés dans une nouvelle guerre au Vietnam et Joseph Heller publie Catch 22, livre de référence sur 39-45. Aujourd’hui, les choses n’ont pas beaucoup changé ; l’Irak et l’Afghanistan ont remplacé les plages normandes et le Vietnam. Publiés en France en septembre 2013, Yellow Birds de Kevin Powers etFin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn de Ben Fountain analysaient tous les deux l’état mental de soldats de retour du front. Un genre littéraire qui semble ne pas vouloir passer de mode.

Paradoxalement, ce que raconte le livre, c’est l’histoire d’un patriote, un gamin qui grandit dans les années 50 en jouant au base-ball, en mimant la guerre dans son jardin et en se rêvant en John Wayne, période Iwo Jima. “De même que nous rêvions de jouer un jour chez les Yankees, nous rêvions de livrer nos premiers combats”, se souvient-il. C’est donc avec beaucoup d’excitation qu’il envoie sa candidature au corps des marines en septembre 1964. Eux, croit-il, feront de lui le “héros” qu’il rêve de devenir. “Je voulais qu’on me regarde, qu’on parle de moi dans les couloirs”, écrit Kovic. Et l’on ne peut que soupirer en pensant que c’est cette même insécurité adolescente qui poussa un jour Jim Morrison à écrire des poèmes ou Kurt Cobain à apprendre la guitare, qui jeta le jeune Ron dans l’enfer vietnamien: une quête banale du sens de la vie. Après une formation rudimentaire, Kovic part pour l’Asie du Sud-Est en décembre 1965 et est parachuté avec d’autres “gosses” de son bataillon dans l’un des affrontements les plus abominables de la seconde moitié du XXesiècle. Le premier chapitre du livre, consacré à cette journée qui changea sa vie à jamais, est d’une brutalité inouïe. Déjà deux ans au Vietnam et Kovic ne rêve que d’être blessé au combat pour pouvoir rentrer dignement chez lui. Soulagement et peur de mourir se confondent donc, lorsqu’il est évacué

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Tom Cruise incarne Ron Kovic dans Né un 4 juillet d’Oliver Stone (1989)

du champ de bataille après s’être fait tirer dessus pendant l’attaque d’un village. Terrifié, il se retrouve dans un hôpital de campagne où on lui administre les premiers soins. La puanteur, les râles des soldats mourants, l’inhumanité crasse des infirmiers, l’indifférence… Ce jour-là, le petit gars qui rêvait d’être un héros perd l’usage de ses jambes. Clap de fin pour sa vie sexuelle, pour ses ambitions et ses rêves de gloriole. De retour au pays, les corps cassés sont entassés dans un hôpital militaire, un “refuge pour bêtes déchaînées”. C’est peut-être ce qui frappe le plus dans ce roman: la barbarie sur le sol américain, l’inhumanité en plein Brooklyn. Difficile de ne pas penser aux vétérans qui hantent aujourd’hui encore les quartiers pauvres des Etats-Unis, ces hommes en fauteuil roulant qui font la manche aux feux rouges dans Downtown Los Angeles: guerrière, justicière, l’Amérique traite ses soldats cassés comme des moins que rien. C’est ce constat qui poussera Kovic vers une nouvelle forme de patriotisme: c’est justement parce qu’il n’a jamais cessé d’aimer son pays que le matricule 2-0-3-0-2-6-1 se change en militant de la paix. “J’étais au Vietnam quand, pour la première fois, j’ai entendu dire qu’en Amérique ils étaient des milliers à descendre dans la rue manifester contre la guerre. La chose me semblait totalement improbable: des gens manifestaient contre nous alors qu’on risquait notre vie pour eux ?” La mort de quatre étudiants abattus par les forces de l’ordre pendant une manifestation pacifiste

un gamin des années50 qui se rêvait en John Wayne à la Kent University fait office d’électrochoc; Kovic se propulse dans un engagement qui devient vite le combat de sa vie. Dans les meetings, dans les manifs, “(son) infirmité valait mille discours”, écrit-il. Enfin, il se sent exister. En 1974, “en un mois, trois semaines et deux jours”, il écrit Né un 4juillet, pour “(s’)élever au-dessus des ténèbres”. Il y raconte les terribles aléas de sa vie de handicapé, s’y souvient de ses rêves déçus mais expie surtout deux crimes qui le hantent: en pleine fusillade, il abattit d’un faux mouvement un colonel de sa section et, surtout, participa à un massacre d’enfants dans un village vietnamien reculé. “Il y a certaines étapes dans la vie des hommes et des nations où il est impossible de faire marche arrière: l’innocence est perdue à jamais”. C’est par ce puissant parallèle que Né un 4 juillet se démarque des dizaines d’autres récits de guerre. Au-delà de la perte de son innocence, il y raconte la fin du rêve pour l’Amérique tout entière et fourrage dans la plaie béante que demeure le Vietnam dans la psyché de tout un pays. Publié pour la première fois en France en1990, Né un 4 juillet ressort en n’ayant rien perdu de sa triste actualité. Clémentine Goldszal Né un 4 juillet (13ème Note éditions), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Gérard Lebec, 216pages, 19,90€ 5.02.2014 les inrockuptibles 87

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François Bégaudeau D’âne à zèbre Pour son abécédaire, François Bégaudeau tire à la ligne. Paresseux. La collection s’intitule “Vingt-Six”, comme les lettres de l’alphabet: ils’agira de demander régulièrement à un auteur de se plier à l’exercice de l’abécédaire. Une excellente idée si on a en mémoire ce grand modèle du genre que furent les entretiens de Gilles Deleuze avec Claire Parnet. Hélas, même s’il s’acharne à prendre la pose de “l’intellectuel de gauche”, Bégaudeau n’est pas Deleuze. L’acteur, scénariste, auteur de BD, critique cinéma et chroniqueur littéraire se rappelle ici qu’il est aussi romancier et livre pour chaque entrée un petit récit qu’il voudrait “signifiant”, mais sombre vite dans une accumulation de phrases creuses: “L’idée (lui) en vint comme vient une idée, d’on ne sait où.” Un peu court ? “Bien que n’ayant jamais lu Kundera, je peux parier qu’il ignore le punk rock.” Ah,bon. Les choses arrivent un peu comme ça chez Bégaudeau, sans qu’il y réfléchisse vraiment: “Voici un zèbre. Aussi bien c’eût pu être une mouche, introduite par son zézaiement. Aussi bien un zébu qu’une redondance aurait campé au Zimbabwe.” Comme ça aurait pu être un livre. Ou rien du tout. NellyKaprièlian

Renaud Monfourny

Grasset/Vingt-Six, 252pages, 18€

Patti la pythie Les premiers textes de Patti Smith, écrits entre 1970 et 1979, sont réédités. Une plongée illuminée dans l’univers poétique de l’icône rock.

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a scène figure à peu près au milieu de Just Kids, les mémoires de Patti Smith. On est en 1970, elle a 24 ans et attend le retour de Robert Mapplethorpe, son double, son alter ego, assise dans le hall du Chelsea Hotel. Penchée sur son cahier orange, elle s’acharne sur une strophe, quand elle est interrompue par un inconnu. “T’es poète ?”, lui lance-t-il. Réponse de Patti: “Peut-être bien.” Poète, celle qui allait devenir une icône du rock l’est assurément. Elle a toujours voulu l’être, fascinée dès sa plus tendre enfance par les livres, par Rimbaud, surtout, dont “le regard doté d’une intelligence irrévérencieuse” l’enflamma. Pour s’en convaincre, il suffit de relire “La Mer de Corail”, qui fait résonner “la cloche de la poésie pure”, selon William Burroughs, ou bien ses Premiers écrits des années70, parus en France en 1998 sous le titre Corps de plane et réédités aujourd’hui en poche. L’anthologie établie par Patti Smith elle-même mêle prose et poésie, et immerge le lecteur dans l’Amérique des seventies, décennie de la consécration pour la chanteuse avec la sortie de l’album culte Horses en 1975. Elle compare cette période à une “boîte de Pandore”. Ce qu’est aussi ce recueil qui contient à la fois la beauté

et les maux de l’époque ; “Un mythe d’or et de merde” (in néogars), de grâce et de stupre. La langue céleste de Patti Smith se roule dans la fange, à la fois mystique, électrique et charnelle, pour chanter le sexe, la liberté, le rock et la révolte: “Nous désirons ce que nous ne pouvons aimer/être libérés des limites/de notre terrible peau” (in pâques). Visions à la William Blake, illuminations rimbaldiennes, voyous et “gamins matelots” tout droit sortis de chez Jean Genet, mais aussi des évocations de Bresson, Pasolini, Picasso, Brancusi, les fantômes de Brian Jones ou Jim Morrison: ces textes sont tissés de toutes les influences de Patti Smith, pythie psalmodiant des incantations païennes, un psaume à Burroughs, des prières sensuelles où Jeanne d’Arc rêve d’être déflorée et Judith prise dans des toilettes dévastées. En creux se dessine un autoportrait de l’artiste en jeune femme, passée de l’usine à la scène ; l’éclosion d’une idole qui prétend n’avoir été qu’une “figurante” dans les années70 alors qu’elle en fut l’une des héroïnes. ElisabethPhilippe Les Années70 –Premiers écrits (Tristram souple), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-Paul Mourlon, 199pages, 8,95€

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folle de toi Beau roman de l’obsession, Sphinx met en scène une femme quittée qui harcèle la nouvelle élue de son ex. Unsuspense distillé façon thriller par la Suédoise Christine Falkenland. l serait facile de d’années dans la banlieue si adorable. “D’une certaine questionner la pertinence de Göteborg. Elle adresse manière, l’idée que ça aurait du roman épistolaire des lettres (les envoie-tpu être moi m’agace”, à l’heure de l’e-mail, elle ?) à Claire, la nouvelle écrit-elle. Du coup, elle ou de se demander épouse de son ex, Felix. se rapproche du couple qui si la bonne vieille névrose “Claire, je pense beaucoup la hante et franchit pas à obsessionnelle n’aurait pas à toi”, confie-t-elle dans pas les limites de la jalousie été banalisée par sa toute première missive. conventionnelle, hantant l’espionnage amical pratiqué Et immédiatement, leur quartier, lorgnant quotidiennement via le malaise s’installe. Au fil par leur fenêtre éclairée Facebook ou Instagram. des pages, dont le ton une fois la nuit tombée, Pas d’ordinateur ou de absolument mesuré ne fait allant même jusqu’à téléphone portable, pourtant, que renforcer l’impression frapper à leur porte le soir dans le dernier roman de rage froide qui d’Halloween avec de la Suédoise Christine en émane, la “première un masque de sorcière… Falkenland, qui ressuscite épouse”, comme elle Trick or treat ? Elle fait de la figure de l’amoureuse se définit elle-même, confie la musculation, modèle son inquiétante, ambiance Glenn sa fascination pour Claire, corps autrefois flasque pour Close dans Liaison fatale. si belle, si parfaite, si jeune, se changer en athlète, Une femme vit seule si riche, qui a donné se nourrit de légumes verts, avec sa fille d’une dizaine naissance à un petit garçon gobe des médicaments par poignées et, toujours, se rapproche. L’inquiétude est distillée, le passé se change en un nœud d’occasions ratées. Pourquoi elle et pas moi? Par touches, ce roman épingle ces vils sentiments (convoitise, frustration) que la santé mentale maintient habituellement cachés sous le tapis. Sans expliquer, sans insister, ce roman raconte la lente glissade d’une femme dans la démence. Glaçant.

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Clémentine Goldszal

Thomas D. Johansson

Sphinx (Actes Sud), traduit du suédois par Anne Karila, 228 pages, 21 €

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The Franz Kafka Videogame

on peut imaginer que le jeu vidéo “littéraire” devienne une passerelle vers la lecture

la vie numérique, mode d’emploi Georges Perec en livre animé, Duras pixélisée, Kafka en néo-Mario Bros… Les liens entre jeux vidéo et littérature se multiplient. Mais qui gagne la partie ?

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ujourd’hui, Jérôme et Sylvie, le couple de psychosociologues des Choses de Georges Perec, ajouteraient sûrement à la liste de leurs inépuisables désirs matériels l’envie de posséder une tablette, signe irréfutable qu’ils sont “de leur temps”. Aussi, (re)lire ce roman sur liseuse électronique, dans sa nouvelle version animée, tient presque de la mise en abyme. Un clic et des objets apparaissent sur l’écran – lampes, chaises, divan Chesterfield, sur un fond de musique jazzy. Quelques pages plus loin, la silhouette du général de Gaulle se dessine dans le texte à la façon d’un calligramme. Puis, les dunes tunisiennes, où se retrouvent un temps les personnages, viennent recouvrir les mots. Un design élégant au charme vintage, qu’auraient à coup sûr apprécié Jérôme et Sylvie, incarnations littéraires du consumérisme. Toutes ces animations

visuelles et sonores interrompent l’expérience de lecture, la fragmentent, en un mot, la transforment. Le lecteur se retrouve face à un objet hybride, à mi-chemin entre le livre et le jeu vidéo. A tel point que l’on peut se demander si le jeu vidéo ne serait pas l’avenir du livre. Apriori, on voit mal le rapport entre World of Warcraft et A la recherche du temps perdu. Pourtant, les liens entre littérature et gaming sont anciens et de nombreuses œuvres romanesques ont inspiré les créateurs de jeux vidéo, leur fournissant des scenarios “clé en main”: les aventures d’Agatha Christie, L’Etrange Cas du docteur Jekyll et M. Hyde, Gatsby le magnifique Même Moderato Cantabile de Marguerite Duras, univers on ne peut plus éloigné de celui de Mario Bros (à moins de se figurer Anne Desbaresdes en princesse du royaume Champignon), a récemment fait l’objet d’une adaptation en pixels.

Depuis peu, les fans de GTA peuvent faire une pause entre deux braquages avec The Franz Kafka Videogame, un jeu beaucoup plus calme qui reprend des éléments du Procès ou du Château et dans lequel on incarne K., petit homme lunaire à chapeau melon qui recherche un emploi dans une contrée lointaine. Enfin, dans The Novelist, le joueur aide l’écrivain fictif Dan Kaplan à faire les bons choix pour réussir à venir à bout de son grand œuvre sans que sa vie de famille vire à la boucherie façon Shining. Ces relations entre les univers littéraire et vidéoludique sont amenées à s’approfondir maintenant que l’on peut lire et jouer sur un seul et même support, qu’il s’agisse d’un ordinateur ou d’une tablette. Que le livre devienne lui-même un jeu avec toutes sortes d’animations-gadgets qui entrent en concurrence avec le texte et brouillent la lecture ne semble pas la plus intéressante des options, sauf à envisager des bonus contenant des informations sur le contexte de l’œuvre, son auteur, ses influences etc. Mais on peut en revanche imaginer que le jeu vidéo “littéraire” devienne une passerelle, moins ringarde que le Lagarde & Michard, vers la lecture, et que sa finalité ne soit plus – seulement– de dégommer un “big boss” au dernier niveau, mais de découvrir le roman dont il est adapté. Game on. Elisabeth Philippe Les Choses de Georges Perec, livre numérique animé (Julliard), 7,99 €

la 4e dimension Marcela Iacub se prend pour Sophocle Après Belle et Bête, sa première incursion très médiatisée dans le champ littéraire inspirée de sa liaison avec DSK, l’essayiste controversée revient le 2 avril avec un nouveau roman, Œdipe reine (Stock), l’histoire d’une femme qui se venge de son amant. Grrr.

Neal Cassady inédit Un truc très beau qui contient tout (Finitude), le premier volume de la correspondance de Neal Cassady, le Dean Moriarty de Sur la route, paraît le 6mars. Des lettres à Jack Kerouac, William S. Burroughs, Allen Ginsberg –dont il fut l’amant– ou encore Ken Kesey, son grand ami.

Himmler, lettres d’un nazi Le 20février paraîtront les lettres inédites d’Heinrich Himmler, chef de la SS et de la police allemande, responsable des camps de concentration et d’extermination, à sa femme Marga (Plon). Une correspondance qui s’étale de 1927 à 1945.

une Star Ac littéraire française Vingt (pseudo-)écrivains enfermés dans un château pendant vingt jours sous l’œil des caméras: c’est ce que promet L’Académie Balzac, téléréalité made in France diffusée sur le net en octobre prochain. Pauvre Balzac.

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Frédéric Bézian et Noël Simsolo Docteur Radar Glénat, 64pages, 19,50€

sans contrefacon Agnès Maupré retrace la vie et les aventures du fameux Chevalier d’Eon, espion libertin et travesti au service de LouisXV, d’un trait sensuel et avec beaucoup d’esprit.

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n 1756, Charles d’Eon de Beaumont n’imaginait pas qu’un bal masqué allait changer sa vie. Issu de la petite noblesse, cet esprit brillant, excellent escrimeur, est devenu censeur royal grâce à son intelligence et son entregent. Travesti en femme lors d’une fête à Versailles, il se fait remarquer par Louis XV. Dès le lendemain, le roi l’envoie à la cour de Russie: il aura pour mission de renouer des liens avec l’impératrice Elisabeth de Russie, brouillée avec la France depuis quinze ans, en se faisant passer pour une lectrice. Charles de Beaumont fait là ses premiers pas dans l’espionnage. Il devient Lia de Beaumont: la légende du Chevalier d’Eon est en marche. Depuis Milady de Winter, on connaissait déjà le brio époustouflant avec lequel Agnès Maupré représente les femmes fortes en capes, épées et jupons. C’est aujourd’hui à un homme en robes, rubans et fleuret qu’elle offre son art tout en finesse. Son récit, fidèle à la réalité historique mais parsemé d’exquises extrapolations (l’enfance de Charles et de sa sœur, son amitié avec la future reine

d’Angleterre Sophie Charlotte, sa liaison avec la comtesse de Rochefort…), est tourbillonnant et délicieusem*nt badin comme une peinture de Fragonard. Ses dialogues subtils à l’humour raffiné font mouche, dévoilant les intrigues de la cour et véhiculant les idées progressistes de l’époque. On découvre un Chevalier d’Eon dépoussiéré des fantasmes et des inventions qui courent à son sujet –non, il n’est pas hermaphrodite–, mais néanmoins androgyne. Il sème le trouble chez les hommes comme chez les femmes, et lui-même ne manque pas de s’interroger sur sa propre sexualité. Agnès Maupré, qui excelle à dessiner les corps, révèle toute l’ambiguïté du Chevalier, lui donnant un corps et un visage délicats. Elle place malicieusem*nt son héros dans des situations équivoques, par exemple face aux appétit* sexuels voraces du roi et de la tsarine –qui déchante vite sur sa capacité à la satisfaire. Son trait léger et ses aquarelles vives dépeignent divinement et par touches subtiles et sensuelles l’art du libertinage –on y voit des joues rosies, des décolletés un peu trop profonds, des cuisses à l’air, des corps nus et alanguis –mais aussi les fastes des cours. Créature romanesque, le Chevalier d’Eon trouve chez Agnès Maupré la plume parfaite pour magnifier ses aventures hautes en couleur.

Hommage sincère et érudit au feuilleton d’aventures. Dans les années folles, des savants travaillant sur la conquête spatiale décèdent mystérieusem*nt. Un ancien aviateur devenu détective pense qu’il s’agit de meurtres et se lance sur la piste du coupable, as de l’esquive et du camouflage. Deuxième coopération de Frédéric Bézian et Noël Simsolo, Docteur Radar a été écrit par ce dernier dans les années90 comme série pour France Culture. Auteur de plusieurs histoires du Poulpe, Simsolo maîtrise avec brio ses classiques, de Fantômas à Signé Furax. Il use avec malice des ficelles du feuilleton d’aventures: rebondissem*nts, jeux de dupes et de masques, lieux emblématiques (égouts, cirque, fumerie d’opium…), personnages secondaires typés. Mais Docteur Radar ne tombe pas dans le pastiche. Les dialogues sont pétaradants, l’humour sous-jacent. Et le récit est sublimé par le remarquable travail graphique de Bézian, inspiré par les dessinateurs 1900 (Forain, Sem…). Le trait est nerveux, parfois proche de la caricature. Econome en décors, Bézian place là où il faut des éléments qui caractérisent l’époque: là un motif sur un tissu, ici le dessin d’un carrelage. Un bel hommage à un genre jamais démodé. A.-C. N.

Anne-Claire Norot Le Chevalier d’Eon, tome 1–Lia (Ankama), 95pages, 15,90€ 92 les inrockuptibles 5.02.2014

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Magda Hueckel

Warlikowski galaxy Krzysztof Warlikowski investit Chaillot avec sa famille élargie. Auprogramme: un cabaret glamour et politique réunissant la troupe du Nowy Teatr de Varsovie, une chorégraphie de Claude Bardouil et un concert de Justin Vivian Bond.

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n mai dernier, le jour de la création de Kabaret Warszawski à Varsovie, Krzysztof Warlikowski fêtait ses 51ans. A la mi-temps de sa vie, l’artiste a choisi la forme du cabaret pour réunir l’ensemble de sa troupe, toutes générations confondues, dans une fabuleuse revue qui, de la montée du nazisme à l’après-11Septembre, parcourt l’histoire pour, au final, ne parler que d’amour.

une jouissive danse de mort qui parcourt près d’un siècle et date des années 30 le début de notre apocalypse

Etonnamment, tout démarre un peu comme dans une pièce de Tennessee Williams… Une artiste de cabaret très alcoolisée, Sally Bowles (l’époustouflante Magdalena Cielecka), débarque pour une scène de ménage avec celui qui pourrait être son amant, Chris Isherwood (Andrej Chyra). Puis, sans transition, nous voici dans les coulisses du cabaret: “Jacqueline Bonbon, tu connais les règles ! Tu es vieille ! Tu dois partir !” Ainsi, l’extraordinaire Zygmunt Malanowicz –acteur chez Roman Polanski dans son film Le Couteau dans l’eau (1962)–, dans le rôle de monsieur Loyal, règle d’une phrase le destin de la plus âgée des girls. Le corps callipyge de la doyenne

de la troupe du Nowy Teatr, Staszka Celinska, devient l’un des plus sensuels de cette revue… Celui d’une reine. Inoubliable encore, la scène où la vieille danseuse, après une brève étreinte avec Pepe (le si tendre Redbad Klijnstra), son jeune amant juif, choisit le suicide en se recouvrant le visage d’un sac en plastique. Noir. En ces temps où aimer un Juif ou une Juive est impossible, Sally Bowles a le cran de chanter: “Hitler est un caniche qui se suce la bite.” Avec une partition musicale allant de Wagner à Radiohead en passant par l’Hallelujah de Leonard Cohen, Krzysztof Warlikowski lance un pont à travers

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Atrides gore l’histoire. Chaque tableau est un pur éblouissem*nt, avec des acteurschanteurs-danseurs dont les dialogues naissent d’un cut-up qui puise au roman à l’origine du film Cabaret de Bob Fosse (1972) et à celui de John Cameron Mitchell, Shortbus (2005), une utopie sexuelle post-11septembre. Ce cabaret est une jouissive danse de mort parcourant près d’un siècle et datant des années 30 le début de cette apocalypse que nous continuons de vivre. Il offre à Krzysztof Warlikowski l’occasion de renouer avec les questionnements sur le sexe, le genre et la rencontre avec l’autre qui sont au cœur de son théâtre. Sans oublier l’éclairage de ses auteurs fétiches – Jonathan Littell, J. M. Coetzee – et des emprunts à Tango, l’autobiographie de Justin Vivian Bond, formidablement incarné(e) par Jacek Poniedzialek. Cet “hommefemme”, qui jouait le patron de la boîte dans Shortbus, clôt sur scène une ronde de nuit de cinq heures par une imprécation aussi tendre qu’urgente, nous interpellant sur notre capacité à aimer et sur l’injonction à ne jamais baisser les bras. Fabienne Arvers et Patrick Sourd Kabaret Warszawski mise en scène Krzysztof Warlikowski, en polonais et anglais surtitré, du 7 au 14février (puis les 3 et 4avril à la Comédie de C lermont-Ferrand) ; Nancy. Interview chorégraphie Claude Bardouil, du 4au 8février ; Love Is Crazy concert de Justin Vivian Bond, le 15février, au Théâtre national de Chaillot, Paris XVIe, tél. 01 53 65 30 00, theatre-chaillot.fr

Coécrit avec Jean-Michel Rabeux, Les Fureurs d’Ostrowsky confirme les capacités du désopilant Gilles Ostrowsky. ’est ce qu’on appelle un tempérament. Comédien toujours prêt à déborder, Gilles Ostrowsky a en lui un bouillonnement intérieur qui demande expressément à sortir. Quelque chose le travaille ; ça aurait à voir avec la famille. Il y a quelques années déjà, sous prétexte d’interpréter Hamlet-Machine d’Heiner Müller, le couvercle de la marmite avait sauté. Seul sur scène, au lieu du texte original, il livrait une version affolante des complications familiales du prince de Danemark. Aujourd’hui, il s’intéresse à cette fratrie particulièrement gratinée que sont les Atrides. L’idée est née d’échanges avec Jean-Michel Rabeux, metteur en scène et coauteur avec le comédien de ce nouveau spectacle dans lequel Ostrowsky donne toute la mesure de la fureur qui l’anime. Les deux hommes se connaissent depuis longtemps. Conscient des formidables capacités d’improvisation de son partenaire, Rabeux a façonné un cadre propice aux effusions de l’acteur. Ça commence à coups de hache et de jets de sang sur une nappe blanche. Coiffé d’un casque aux oreilles larges qui lui donne un petit air de personnage de BD, Ostrowsky brandit des membres ensanglantés. Il y a dans son jeu un léger décalage. Comme si ses propres actes lui échappaient– à la fois dépassé et fasciné par les atrocités qu’il commet tout en les racontant. Cette schizophrénie de l’acteur et du commentateur est l’un des ressorts comiques essentiels de ce spectacle aussi drôle que méchant. Avec moult détails piquants, notre héros évoque les mœurs brutales de ces temps lointains sur un ton d’effroi hébété. En chemisette et maillot de bain, tel un touriste en goguette sur les îles grecques, il exhibe deux têtes d’enfants persillées. Ce sont les rejetons de Thyeste, que son frère Atrée vient de lui faire manger. Ça se passe comme ça chez les Atrides. La rancœur tenace se transmet de génération en génération. Un arbre généalogique hérissé de crimes, qu’Ostrowsky dévale avec une véhémence ahurie, interprétant à lui seul les principaux protagonistes dans un spectacle halluciné qui joue habilement avec les codes du cabaret et du music-hall. Phénoménal. Hugues Le Tanneur

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Les Fureurs d’Ostrowsky de Gilles Ostrowsky et Jean-Michel Rabeux, avec Gilles Ostrowsky, en tournée en France jusqu’au 16avril, rabeux.fr 5.02.2014 les inrockuptibles 95

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Courtesy de l’artiste et galerie Vincenz Sala

Thomas Lélu, Formes blanches et rature bleue sur fond orange, 2013

palettes graphiques Qu’est-ce que Photoshop fait à la peinture ? Et vice-versa. En trois clics.

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hoto choc: ce mois-ci, Lena Dunham, jeune prodige très nature de la série Girls, a déçu et scandalisé ses fans en laissant Vogue afficher en couve un portrait d’elle aminci et raffermi, en un mot, photoshoppé. Or, si le logiciel traître fait figure de bras armé de la dictature de la beauté normée, il semble désormais pouvoir se refaire une réputation chez les peintres, de plus en plus nombreux à se servir de cet outil numérique. Ou plutôt à le prendre comme objet et sujet de leurs “e-peintures”. Cela fait quelques années déjà que l’Anglais Hockney troque pinceaux, tubes et palettes contre une tablette ou un smartphone et une dizaine de logiciels de création graphique. Imprimés sur papier, contrecollés sur Dibon, ses paysages du parc

de Yosemite étaient exposés au milieu de toiles peintes traditionnellement dans la rétrospective que lui consacrait cet hiver un musée de SanFrancisco. Ces jours-ci, Christophe Cuzin et Thomas Lélu exposent chacun de leur côté leur asservissem*nt volontaire à Photoshop. De quoi cela témoignet-il ? L’usage de Photoshop permet d’abord aux peintres non-peintres (Lélu fait exécuter ses toiles par d’autres) ou établis (Cuzin) de réviser leurs gammes, de (ré)apprendre à peindre et surtout de s’afficher comme tels: comme des artistes ventriloqués par un tableau en train de se faire pour ainsi dire tout seul. Photoshop accomplirait le fantasme d’objectivité poursuivi par certains peintres abstraits dont le programme avoué était

de peindre sans avoir l’air d’y toucher, en obéissant à une espèce de nécessité formelle, matérielle ou chromatique. Ce qui n’allait pas sans emprunter des chemins tortueux et des hésitations à n’en plus finir. D’ailleurs, on pourrait dire que toute peinture est depuis toujours déjà photoshoppée au sens où elle est sans arrêt remise sur le métier, reprise, revue, modifiée, corrigée, basculée (la rotation de la toile à 90° était une habitude chez Lichtenstein, Cuzin en fait le secret de fabrication de son exposition). Est peintre pour ainsi dire celui qui, procédant par ajouts, multipliant les repentirs, retouche. Si Thomas Lélu se fie à Photoshop pour tracer un motif et qu’il y reconnaît vite un motif historique (peint il y a un siècle par Matisse ou Malevitch), c’est que les

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créations des avant-gardes modernes sont aujourd’hui figées. L’abstraction n’est plus porteuse d’impulsions, d’avancées sociales, de révolutions politiques. Elle est une banque de données. Elle n’offre que des “formes diverses”, titre de l’exposition de Lélu, et non plus des formes uniques et incontournables. Enfin, il y a peut-être dans ce recours à Photoshop une manière de lier à nouveau la peinture à la technologie. La peinture passe pour une pratique obsolète, incapable de se renouveler dans ses moyens et ses enjeux. Elle le vit d’ailleurs un peu trop bien, puisqu’elle se préfère morte, presque morte ou déjà morte et enterrée, morte vivante enfin, pour se repenser. Et pour se vendre: medium traditionnel, fait main, elle présente toutes les garanties aux yeux des collectionneurs. En la liant à Photoshop, quelques-uns décident de changer de logiciel de pensée et parient sur une nouvelle boîte à outils. Qui est aussi une mise en crise des critères d’évaluation du tableau. Réduit à un fond d’écran ou à un ersatz d’écran, il pourrait bien n’être plus qu’un trompel’œil: vous croyez voir un ordinateur sur la cheminée, il s’agit d’un tableau. La peinture s’est souvent assignée comme mission de figurer des mondes intérieurs, invisibles. Ces artistes, comme d’autres, les Stéphane Dafflon ou Philippe Decrauzat, préparant leurs motifs à l’aide de palettes graphiques informatiques, suivent cette pente et ouvrent une nouvelle fenêtre. Judicaël Lavrador Thomas Lélu Formes diverses, jusqu’au 15février à la galerie Vincenz Sala, ParisIIIe, tél.0982473715, www.vsala.com Christophe Cuzin Photoshop, jusqu’au 15février à la galerie Bernard Jordan, Paris IIIe, tél.0142771961, www.galeriebernardjordan.com

cœur de hacker Sans concession, le jeune Français Renaud Jerez détruit quasi concrètement les mythes modernes propagés par la publicité et les réseaux virtuels. Edifiant. ’internet m’intéresse en tant qu’espace public sale et dangereux, tout comme la rue. Les deux sont pollués et ma culture est celle des espaces saturés par des écrans publicitaires et des graffitis hackers.” Si Renaud Jerez, jeune artiste français installé à Berlin, connaît le travail d’une récente génération d’artistes “post-internet” et leur usage du fond d’incrustation d’images ou du Photoshop strident, il se détache d’une adhésion pure et simple à la culture web. Evoquant un “marketing de la destruction”, il installe deux écrans au sol qui donnent à voir les vidéos d’un Mac en train de crasher sous des flots d’eau et la carte d’identité d’un “hacker crypto-anarchiste qui détruit des ordinateurs à distance”. Le fantasme d’une culture virtuelle bute toujours sur la matérialité d’écrans et de câbles, laissés très visibles dans son installation à côté de poubelles renversées et de pommes rouges transgéniques. Des tuyaux enrobés de tissu forment des sculptures momies, “êtres secs dont la substance s’est évaporée”, métaphore d’un désir de “destruction et déshydratation des systèmes liquides (monétaires, informatiques, vivants)”. A rebours du discours sur la fluidité des réseaux, l’artiste se place du côté de la rébellion urbaine dès le titre de l’exposition, Adideath, une contrefaçon menaçante du logo sportif. L’expo se poursuit avec une sculpture de survêtements lacérés, sorte de petite planète en noir et blanc, ou un portrait violemment pixellisé du rappeur P.Diddy. Dans le métro, Jerez emprunte des plaques de plexiglas abîmées pour recouvrir le sol de la galerie. Des annonces de masques cosmétiques vendus en Asie pour blanchir la peau y côtoient le poster d’un personnage avatar à la peau noire qui vante le potentiel de la fabrication de soi. C’est là, dans cette utilisation de la culture visuelle de la pub et de l’informatique, que l’artiste trouve un interstice où infiltrer ses explosifs. En cheval de Troie. Pedro Morais

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Adideath jusqu’au 15 mars à la galerie Crèvecœur, Paris XXe, tél. 0954573126, galeriecrevecoeur.com et aussi HSBC, The World’s Local Bank (avec Matrix Killings), jusqu’au 7 février à Treize, Paris XIe, tél. 01 48 05 79 48, chez-treize.blogspot.fr 5.02.2014 les inrockuptibles 97

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les infiltrés Au fil d’une immersion approfondie, Jérôme Pierrat et Sébastien Thoen révèlent les différents visages du banditisme marseillais. Oùsemblent sombrer deplus enplus de jeunes exclus du jeu social.

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ues et entendues chaque jour dans les médias, les histoires de règlements de comptes sanglants à coups de kalachnikov en pleine rue ou d’individus retrouvés dans un coffre de voiture avec deux balles dans la tête, forment un “récit” stéréotypé sur Marseille. Pas une contrevérité, mais un stéréotype en ce sens qu’on écoute ces refrains répétés sans même plus s’en étonner, sans même chercher à en analyser les causes. Comme si les histoires de bandits faisaient partie d’un décor familier et ancien à Marseille, que les Parisiens, jamais avares de clichés folkloriques sur la ville phocéenne, observent du haut de leur suffisante civilité. En oubliant de dire que le banditisme est un mal partagé sur tout le territoire hexagonal et que la violence criminelle n’est évidemment pas spécifique à Marseille. Pour autant, les morts –vingten 2013, soixante-dix depuis2009– forment l’indice d’une intensité particulière, à défaut d’une spécificité locale. C’est cette intensité qu’ont cherché à saisir au plus près, jusque dans les entrailles de la fabrique des bandits, Jérôme Pierrat, journaliste spécialisé dans les affaires de criminalité, et Sébastien Thoen, d’habitude plutôt

spécialiste en subversion comique (Action discrète), mais surtout marseillais d’origine. En cumulant leurs atouts respectifs –la connaissance éprouvée des règles et des acteurs des milieux délinquants pour l’un, la bonhomie populaire de l’autre, lui offrant une forme d’accès plus simple à des voyous qui “kiffent” ses blagues potaches sur Canal+–, les deux reporters se sont livrés à une longue immersion (un an) au cœur des réseaux opaques du banditisme. La démarche pourrait s’accorder au style sensationnaliste et fanfaron des magazines d’info appropriés, type Enquête exclusive ou Zone interdite, toujours prompts à dresser un tableau sans nuances du business de la drogue. Sans toujours s’en distinguer tout à fait clairement –les plans en caméra cachée répétés, l’art de dramatiser les enjeux au son d’une musique anxiogène…–, leur enquête étayée apporte pourtant des éléments de connaissance inédits, dont seule la durée de l’immersion pouvait permettre la révélation. A force d’explorer en toute discrétion les quartiers, d’activer leurs contacts, de multiplier leurs sources, en prenant le temps qu’il faut, Pierrat et Thoen

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Magneto Presse

acheter une kalach à Marseille, cela semble simple comme un coup de fil

réussissent à quadriller la ville de part en part, des quartiers Nord au Vieux-Port, à cartographier les réseaux locaux, à identifier les acteurs-clés, les caïds, les petit* joueurs, à dépeindre un climat général marqué par une culture historique de la violence, mais aussi et surtout par une misère sociale qui pousse une minorité de jeunes à entrer dans le seul espace d’insertion qui s’ouvre à eux: les réseaux de trafic de drogue, d’armes, les jeux clandestins… Les deux reporters arpentent ces territoires délictuels, filment les corps (floutés) et les décors de la criminalité: les caves des cités où le trafic de sh*t et de cocaïne s’organise ; les garages où les voitures sont customisées pour y dissimuler les paquets de drogue et déjouer les contrôles à la frontière espagnole ; une planque où l’on achète une kalachnikov, grâce à un contact avec deuxpersonnes autorisées… Acheter une kalach à Marseille, cela semble simple comme un coup de fil. Jérôme Pierrat et Sébastien Thoen, à l’aise dans leurs baskets (bien lacées au cas où il faudrait dégager dare-dare), filment ce sombre cirque délétère, à la fois grotesque et tragique, brutal et folklorique,

des plus gros (les nouveaux chefs de gangs, les caïds à l’ancienne, les parrains corses…) aux plus petit* (les dealers de base, voués à “charbonner” ou à “guetter”), dont les mères, régulièrement, pleurent les dérives mortelles. Les divers profils de voyous s’entremêlent dans un patchwork de la criminalité, autant fidèle à son histoire (s’ils se font plus discrets, les parrains à l’ancienne sont toujours à la manœuvre) que tenue de se renouveler en profitant de la présence des égarés qui peuplent les cités désœuvrées. Certains d’entre eux se retrouvent à la prison des Baumettes, où les reporters malins ont réussi à recueillir le témoignage d’un détenu, qui filme en douce son quotidien dans sa cellule et la cour de la prison. Le fait même que tous les témoins aient ici accepté de dévoiler les rouages de leur maudit manège prouve leur besoin de confesser leur incapacité d’échapper à un destin funeste. Cet aveu vaut plus que la reconnaissance de leur statut de voyou, dont certains, lucides, se méfient ouvertement. Ce que soulignent en creux Pierrat et Thoen, c’est combien la “carrière délinquante” se construit sur le terrain miné d’un système local et social qui embarque dans un voyage sans retour. La délinquance n’est souvent que le visage détourné d’une économie de survie. La somme édifiante des témoignages recueillis auprès des “acteurs” de ce grand et petit banditisme marseillais n’évite pas l’“effet loupe”, souvent dénoncé par le sociologue Laurent Mucchielli. Les bandits d’autrefois, rappelle-t-il, n’étaient “pas moins nombreux, pas moins armés, pas moins violents, pas plus moraux” (Libération du 1erjanvier): avant l’arrivée de la kalachnikov, la “french connection” tirait aussi bien à la mitraillette dans les années70, autour du Vieux-Port. Il reste que si l’enquête évacue cette question problématique de l’hypermédiatisation du cas marseillais, elle a le grand mérite de mettre au clair les règles du jeu, à la fois anciennes et renouvelées, ritualisées et incontrôlées, du folklore criminel reconfiguré par la crise sociale. Jean-Marie Durand Marseille gangsters mercredi5, 2 0 h 55, Ca nal+ 5.02.2014 les inrockuptibles 99

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Images prises par un drone sur la chaîne d’infos BFM TV

drones sous surveillance Aux Etats-Unis, le drone, utilisé par les paparazzi ou les rédactions classiques, défraie la chronique. En France, la législation restreint fortement la pratique du filmage par ces petit* appareils aériens qui peuvent aller partout. Jusqu’à quand ?

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n plan aérien ivre de lui-même, caméra en plongée et travelling fou. Des blocs de policiers turcs sur le qui-vive, des grappes de manifestants qui se disloquent et se recomposent, les fulgurances des canons à eau. Visible à l’adresse vimeo.com/68229603, la séquence allie la cartographie détaillée d’un affrontement en cours à la beauté sidérante d’un ballet de forces dérisoires et menaçantes. Un document précieux qui condense les tentations de ceux qui utiliseront les drones, dont les journalistes: volonté de surpuissance par l’élévation d’un regard souverain, mystique

“pour recueillir de l’information, les journalistes doivent avoir de l’audace. Et peuvent vite se retrouver hors la loi” Me Fittante, avocat

du spectaculaire et de l’ultraprécision, séduction du neuf. Aux Etats-Unis, où certains étudiants sont formés au drone journalism, les bourdons filmeurs commencent à défrayer la chronique. Pourtant interdits, ils sont pilotés par les paparazzi –le mariage de Tina Turner cet été– mais aussi par les rédactions (New York Times, BBCAmerica), qui par ailleurs s’interrogent sur l’éthique mortifère des avions tueurs d’Obama. LePrésident a quant à lui fait voter une loi autorisant dès 2015 le survol des populations par la police et les agences gouvernementales. Embouteillages en vue dans l’espace aérien ? En France, les débuts des aéronefs téléguidés –parfois par smartphone– sont timides. Des tests ont été répertoriés à L’Express, quelques plans insérés dans les JT ou des images touristiques sur M6 ou France Télévisions. BFM est la première chaîne à avoir intégré du dronalism dans ses flashes, en juin dernier lors des crues de Lourdes.

“Les drones offrent des images complémentaires, plus intimes, plus précises que celles des hélicoptères, explique Hervé Béroud, directeur de la rédaction de BFM. Mais notre usage sera ponctuel à cause de la réglementation. Il est par exemple interdit de s’élever au-dessus d’une manifestation. On ne connaîtra jamais la vérité sur le nombre de manifestants !” Outre certains paramètres qui rendent son recours délicat –sensibilité à la météo, son inutilisable et long apprentissage pour les pilotes–, le drone doit donc voler sous les nuages d’une législation française restrictive. “Il ne faut pas verser dans la technophobie, mais les pouvoirs publics le craignent parce que l’information qu’ils donnent par voie officielle ne se vérifiera pas forcément, assure MeAntoine Fittante, avocat spécialiste du droit de la presse. S’insérant dans l’espace aérien, le drone rentre dans les dispositions du code de l’aviation civile. Asavoir que tout projet desurvol doit être déclaré quinze jours à l’avance. Lepilote doit

justifier d’une licence théorique et d’une déclaration de niveau de compétence établie par l’exploitant. Pour les vols en agglomération, l’appareil ne pourra s’éloigner à plus de cent mètres du pilote et voler à plus de cent cinquante mètres d’altitude. Et il ne peut s’approcher à moins de trente mètres des personnes.” Pour les francs-tireurs, un an sous le plafond bas des cellules et 75 000€ d’amende sont prévus. Sanscompter les possibles atteintes à la vie privée, àladignité humaine et aux droits à l’image. Le drone entre de fait dans le domaine de la vidéo-surveillance, avec l’obligation de déclarer le survol à la Cnil et de prévenir du filmage par voie d’affichage ! “Le fait précède le droit, poursuit MeFittante. Nous verrons comment la loi évolue. Mais pour recueillir de l’information, les journalistes doivent avoir de l’audace. Etpeuvent vite se retrouver hors la loi.” Les aventuriers de l’info sont prévenus. PascalMouneyres

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Les Disparues del’A26

naissance des DaftPunk La Nuit electro d’Arte propose près de quatre heures dédiées à la célébration des cultures électroniques. En point d’orgue, un documentaire essentiel de 1999 sur les origines de la French Touch. pparu à la fin des années90 à tour dans le fil du documentaire, qui ose dans les médias anglais pour valider des détours par des genres plus abstrus la suprématie des producteurs comme la techno hardcore ou minimale. français dans le maniement Le cœur du sujet reste néanmoins de la house et de ses textures synthétiques, focalisé sur la French Touch et ses centres le terme French Touch vient de connaître d’effervescence. De Paris à New York, une consécration définitive aux Etats-Unis. du mythique Twilo Club au fondamental Dans la nuit du 26 au 27 janvier, la cérémonie Palace, des home-studios aux boutiques des Grammy Awards n’a pas seulement de vinyles dédiées, la caméra capte couronné DaftPunk, lauréat de cinq ainsi l’excitation des premiers fans récompenses majeures, elle a également pour la confronter au pragmatisme des entériné l’expression toute française d’un acteurs majeurs du genre. genre né dans la marge et devenu cardinal A l’époque du tournage, Daft Punk sur le versant musical de la pop culture. n’avait sorti qu’un seul album et Comprendre les origines du parcours Thomas Bangalter, sa plus célèbre moitié, triomphant qui a entraîné la musique s’invitait encore derrière les platines électronique de la cave vers l’estrade des rave-parties pour garder le contact des Grammy Awards, c’est tout l’enjeu avec une électronique plus radicale. Ironie que propose la rediffusion de French Touch, du sort, c’est avec un album disco très un documentaire réalisé par Alexis Bernier organique que son duo de robots a explosé et Philippe Lévy en 1999. tous les records quinze ans plus tard. Programmé en dernière partie de Interviewé dans le reportage, le journaliste LaNuitelectro, le reportage brille surtout Christophe Basterra anticipe la par ses valeurs de témoignage et de transformation en rappelant que la French prédiction. Interviews d’artistes, extraits Touch puise autant dans la house de concerts et réflexions sur l’avenir de de Chicago que dans les refrains cheesy la musique électronique se croisent dans des seventies. Eclairés à la lumière une série de portraits clairvoyants, enfilés de 2014, l’observation et le reportage comme un prequel de la success-story ont un air d’anticipation. AzzedineFall composée par Daft Punk, Laurent Garnier ou Cassius. Que ce soit par le son ou par La Nuit electro soirée spéciale, l’image, tous ces artistes apparaissent tour samedi 8, minuit, Arte

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la musique électronique est passée de la cave à l’estrade des Grammy Awards

Clip d’Around the World (1997), réalisépar MichelG ondry

documentaire de Martin Blanchard. Mardi11, 22 h 45, France2

Enquête sur la seule avocate française spécialisée dans les coldcases. Ça ressemble à une de ces émissions où l’on reconstitue et on enquête sur des crimes. Le réel s’inspire du succès des séries policières… Mais ce documentaire est plus spécifique que les banals Faites entrer l’accusé puisqu’il s’intéresse à une avocate, Corinne Herrmann, qui est, semble-t-il, l’unique spécialiste française des cold cases –ces affaires de meurtres non élucidées et classées. Apparemment, elle se spécialise dans les cas de jeunes filles disparues, et souvent assassinées. Le film montre surtout la longue préenquête de l’avocate, qui permet de rouvrir des dossiers et relancer les recherches sur des affaires considérées comme prescrites. Ici, les morts inexpliquées de deux adolescentes, Christel Oudin et Sophie Borca, en1985, près du chantier de l’autoroute A26, dans l’Aisne. Le sujet est intriguant et les démarches de Corinne Herrmann intéressantes. Elle se rend sur les lieux de la découverte des crimes, rencontre les parents des victimes, les anciens enquêteurs de ces affaires, etc. Grâce à ses efforts, on procèdera notamment à de nouvelles analyses ADN… Ce qui surprend, dans ce cas particulier, c’est qu’un cabinet d’avocats parisiens ayant pignon sur rue, celui de Didier Seban, auquel appartient Corinne Herrmann, puisse effectuer ces recherches spontanément, sans rémunération. Simple entreprise de publicité, marketing judiciaire ? A qui profite l’élucidation du crime ? Là est le vrai mystère de cette histoire. Vincent Ostria 5.02.2014 les inrockuptibles 101

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Lilyhammer Notre monde

saison 1

un film de Thomas Lacoste

DVD Frank Tagliano, plus connu sous le nom de The Fixer, est un ancien membre du crime organisé new-yorkais. Après avoir témoigné contre son patron, il entre dans le programme de protection des témoins du FBI et est envoyé à Lillehammer, en Norvège. à gagner: 20 coffrets DVD

DVD

Trente-sept personnalités répondent à une interrogation: dans quel monde vivons-nous et comment pouvons-nous le rendre plus juste, plus fraternel, plus sensible ? Un casting plus impressionnant que celui de n’importe quel blockbuster. à gagner: 20 DVD

Sang-froid du 12 au 14 février, au CND de Pantin (93)

scènes Julia Cima, son auteur, décrit ainsi Sang-froid: “… une histoire trouble sur un vaisseau des mers. Le cinéma muet se pose en maître, bravant et gesticulant face à la narration. Le cabaret burlesque rôde, la danse émerge de voluptés enfouies dans les sous-sols. Le processus magique émergeant de l’obscurité déteint sur les odeurs et les visions. Il n’y a pas de forêts, de routes désertes, de fleuves etde ravins, pas decabanes enruine, deterre en friche, qu’un navire au milieu de l’océan noir.” à gagner: 10 x 2 places pourla représentation du 12février à 20 h 30

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Connan Mockasin le 19 février au Trianon, Paris XVIIIe

musiques Connan Mockasin et sa pop psychédélique sont de retour en France ! Les titres de son dernier album, Caramel, seront à découvrir sur scène lors d’une série de dates exceptionnelles. à gagner: 3 x 2 places

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail: [emailprotected] ou [emailprotected] pour les abonnements, contactez la société Everial au 01 44 84 80 34

livre

mêmes, les mots dits Lasémiologue Mariette Darrigrand fustige dans un essai les stéréotypes langagiers dumonde médiatique.

L

e stéréotype est un fait politique, la figure majeure de l’idéologie”, écrivait Roland Barthes dans Le Plaisir du texte (1973). A l’aune de cette conviction, la sémiologue Mariette Darrigrand propose un diagnostic critique de la machine à fabriquer des stéréotypes en masse: la médiasphère. La société “hypermédiatique”, multipliant “les bouches émettrices”, produit ce que la chercheuse appelle le “blues du média” ou le “doxa blues”. Ecouter la radio, lire les breaking news sur nos tablettes, regarder les alarmes régulièrement couinées par notre téléphone…: du matin au soir, la litanie des maux de l’époque –“le moral des ménages est en berne, les médicaments peuvent tuer”, etc.– crée un effet d’usure sur l’auditeur-lecteur-téléspectateur. C’est moins la réalité palpable du monde que l’échec à l’objectiver honnêtement qui nourrit cette mélancolie. “La doxa nous colle au cortex ; nous n’avons pas d’autre choix, si nous voulons récupérer un peu de liberté, que de tenter d’en comprendre la ravageuse séduction”, analyse Mariette Darrigrand. Répétés à tout-va dans un réflexe plus pavlovien que réflexif, les mots proférés dans les médias glissent, n’accrochent rien chez nous sinon la partie de notre esprit conditionnée et hagarde. Les mots sonnent faux. Exemple: l’abus du mot “fragile”, utilisé pour tout et n’importe quoi. Or, se demande l’auteur, faut-il vraiment employer le mot à propos du contexte économique global, de la zone euro, d’un ministre, d’un acteur ou d’une personne souffrant de troubles psychiques ? La répétition empêche toute nuance, tout début de pensée active. Outre qu’elle “crée les conditions d’un fatalisme global ravageur”, tel “un acte idéologique qui a des effets”, la répétition finit par occulter les vraies fragilités. L’usage répété du suffixe “re” – “réinventer, réenchanter, réindustrialiser” – participe du même processus de constitution d’une parole figée et dénaturée. Pour neutraliser ces effets, l’auteur propose d’inventer des “antidoxes”, des mots plombant la doxa, des “antidotes aux divers poisons qui enveniment notre univers sémantique, stimulateurs de visions nouvelles ou du moins décalées”. Une manière de se protéger contre les “réveils déprimants”. Jean-Marie Durand Comment les médias nous parlent (mal) (Editions François Bourin), 78 pages, 9€

rédaction directeur de la rédaction Frédéric Bonnaud rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, JDBeauvallet, Pierre Siankowski comité éditorial Frédéric Bonnaud, JDBeauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne, Jean-Marie Durand, Nelly Kaprièlian, Christophe Conte secrétaire générale de la rédaction Sophie Ciaccafava secrétaire générale de la rédaction adjointe Anne-Claire Norot chefs d’édition Elisabeth Féret, David Guérin reporters Stéphane Deschamps, FrancisDordor, Anne Laffeter actu rédacteur en chef Pierre Siankowski rédactrice en chef adjointe Géraldine Sarratia rédacteurs Diane Lisarelli, David Doucet, GeoffreyLeGuilcher style Géraldine Sarratia cinémas Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-BaptisteMorain, Vincent Ostria musiques JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) livres Nelly Kaprièlian scènes Fabienne Arvers expos Jean-Max Colard, Claire Moulène médias/télé/net rédacteur en chef adjoint Jean-Marie Durand collaborateurs M.de Abreu, E.Barnett, P.Becker, A.Bellanger, R.Blondeau, D.Boggeri, G.deBoismenu, R.Boiteux, N.Carreau, Coco, D.Commeillas, A.Desforges, S.Dubois, V.Ferrané, A.Gamelin, J.Goldberg, C.Goldszal, O.Joyard, J.Lavrador, H.LeTanneur, N.Lecoq, P.Mouneyres, P.Morais, A.Pfeiffer, E.Philippe, E.Polanco, T.Ribeton, A.Ropert, P.Sourd, R.Wäks lesinrocks.com directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteur en chef Pierre Siankowski rédacteurs Diane Lisarelli, Thomas Burgel, Azzedine Fall, Carole Boinet, Claire Pomarès éditeurs web Clara Tellier-Savary, Olivier Mialet, Julien Rebucci graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem projet web et mobile Sébastien Hochart lesinRocKslab.com responsable Abigaïl Aïnouz lesinRocKs.tv chef de rubrique Basile Lemaire assistante Clémence Sgarbi photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee, Caroline De Greef photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot second sr Fabrice Ménaphron sr François Rousseau, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Delphine Chazelas, Laurence Morisset conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Luana Mayerau, Nathalie Coulon publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques), tél.0142 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, livres, vidéo, télévision) tél.014244 16 17, Benjamin Cachot (arts/scènes) tél0142441812 coordinateur François Moreau tél.01 42 44 19 91 fax0142441531 assistante Estelle Vandeweeghe tél.01 42 44 43 97 publicité commerciale, directeur Laurent Cantin tél.01 42441994 directrice adjointe Anne-CécileAucomte tél. 01 42 44 00 77 directrice de clientèle Isabelle Albohair tél.01 42 44 16 69 publicité web Chloé Aron tél.01 42 441998 Lizanne Danan tél.0142441990 coordinateur Stéphane Battu tél.01 42 44 00 13 développement et nouveaux médias directrice Fabienne Martin directeurs adjoints Baptiste Vadon (promotion, médias, diversification) tél. 01 42 44 16 07 Laurent Girardot (événements et projets spéciaux) tél.01 42 44 16 08 assistante Joséphine Hébert tél.0142441568 relations presse/rp Charlotte Brochard tél.01 42 44 1609 assistante promotion presse Juliette Fouasse tél.0142441668 marketing diffusion responsable Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél.0142440017 assistante marketing direct Julie Lagnez tél. 01 42 44 16 62 contact agence Bo Conseil Analyse Média Étude Otto Borscha et Terry Mattard [emailprotected], tél.09 67 32 09 34 abonnement Les Inrockuptibles, service abonnement, libre réponse 63 096, 92 535 Levallois Perret Cedex infos 01 44 84 80 34 ou [emailprotected] abonnement France 1an: 115€ standard, accueil ([emailprotected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois impression, gravure Roto Aisne Société Nouvelle ZI Saint-Lazare Chemin de la Cavée 02 430 Gauchy brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 1 407 956,66€ 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo, Sonia Pied, Frédérique Foucher administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, LouisDreyfus, fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, SergeKaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOertrimestre 2014 directeur de la publication Frédéric Roblot © les inrockuptibles2014 tous droits de reproduction réservés. 5.02.2014 les inrockuptibles 103

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série Black Mirror de Charlie Brooker Six moyens métrages d’anticipation qui traitent des débordements liés à l’essort des nouvelles technologies. La tournure que prend le monde et la mentalité humaine me font parfois un peu peur.

Tonnerre de Guillaume Brac Un rockeur dans la dèche s’installe provisoirement chez son père. Un beau portrait de trentenaire déphasé.

Asgeir In the Silence A 21 ans, l’Islandais rénove le folk par une électronique discrète. En collaboration avec un poétique parolier, son père.

S. de J.J.Abrams Le créateur de Lost, actuellement sur le tournage de Star WarsVII, publie un roman conceptuel où il est question de V.M.Straka, écrivain assassiné en 1946.

Heroes of Might and Magic VI Les seuls moments où j’arrive à ne plus penser à la musique. Je m’immerge complètement, parfois pendant deux jours, puis je n’y touche plus pendant des mois. Pendant la composition de Where Is the Queen?, j’y ai passé pas mal de temps quand je bloquais sur un morceau.

livre La Vérité sur l’affaire Harry Quebert de Joël Dicker Peu m’importe le sujet, le style… La seule chose qui compte, c’est qu’un livre soit assez passionnant pour que j’aie envie d’aller me coucher, ce que je déteste faire. Avec ce livre qui mélange journal intime d’un jeune écrivain et histoire policière, j’étais au lit tous les soirs à 21 heures! propos recueillis par Noémie Lecoq

Emmanuelle Brisson

jeu vidéo

Le Prince Miiaou En concert le 7 février à La Rochelle, le 12 mars à Lille, le 13 à Paris (Café de la Danse), le 14 à Strasbourg, le 15 à Angoulême, le 26 à Nantes. Son nouvel album Where Is the Queen? est disponible.

sur Le vent se lève d’Hayao Miyazaki Le portrait âpre d’un grand ingénieur de l’aéronautique à la veille de la Seconde Guerre mondiale.

Rodrigo Amarante Cavalo La saudade brésilienne déclinée en folk onirique. Un trésor. Bonjour minuit de Jean Rhys Portrait d’une femme désespérée sur la Rive gauche d’avant-guerre. Un trésor caché du XXesiècle réédité.

L’amour est un crime parfait d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu Une étrange histoire glacée autour de secrets profondément enfouis.

Jacky au royaume des filles de Riad Sattouf Vincent Lacoste prend de l’ampleur dans cette comédie entre SF, aventure molle et grande pignolade.

Le Prince Miiaou Where Is the Queen? Maud-Elisa Mandeau est de retour avec un album conçu comme un merveilleux catalogue d’humeurs.

Florent Marchet Bambi Galaxy Un nouvel album qui largue les amarres avec la Terre et la raison.

Looking sur OCS City Une série gay qui tient ses promesses: sans effusions mais accrocheur. Homeland saison3, Canal+ Une troisième saison qui se termine de manière forte et radicale. Community saison5, NBC La série comique ultrasensible de Dan Harmon retombe sursespattes.

Des jours que je n’ai pas oubliés de Santiago Amigorena L’écrivain et réalisateur fouille la douleur du désamour au cœur d’un couple qui se sépare.

En finir avec EddyBellegueule d’Edouard Louis Cet écrivain de21ans raconte le calvaire d’un hom*osexuel de la classe ouvrière. Bouleversant.

Putain de guerre ! (intégrale 2014) de Jacques Tardi Le dessinateur met en scène les tranchées depuis trente ans.

Traquenards & mélodrames de Willem Une salvatrice anthologie qui rappelle combien Willem est indispensable.

L’Enfer en bouteille de Suehiro Maruo Un nouveau recueil suggestif et émouvant du maître de l’érotique gore.

Une raclette création des Chiens de Navarre, mise en scène Jean-Christophe Meurisse au théâtre du Rond-Point, Paris Début du festival des Chiens de Navarre avec cette fête des voisins qui part en vrille.

Orchidées texte et mise en scène Pippo Delbono Théâtre du Rond-Point, Paris Pippo Delbono assume son destin de fils prodigue en mémoire de sa mère.

Les Fausses Confidences mise en scène Luc Bondy Odéon-Théâtre del’Europe, Paris Bondy projette Marivaux dans un inconscient amoureux.

Tacita Dean à la galerie Marian Goodman, Paris Un film insolite sur les traces des liens occultes entre une nouvelle de Ballard et la Spiral Jetty de Robert Smithson.

Flower sur PS Vita Expérience envoûtante, Flower est aussi une merveille de game design épuré. Ou comment faire (ressentir) plus avec moins.

Olivier Mosset au Centre culturel suisse à Paris Ex-membre du groupe BMPT avec Daniel Buren, le peintre conceptuel multiplie depuis les collaborations entre la Suisse, la France et l’Arizona, où il vit.

The Rapture Is Here and You Will Be Forcibly Removed from Your Home sur Mac et PC La fin du monde en vingt minutes pour l’un des jeux les plus forts dumoment.

Alejandro Cesarco au Plateau, Paris L’artiste uruguayen a conçu une expo très littéraire, avec index de livres fantômes, hommages et citations.

Luxuria Superbia sur PC, Mac, Linux, iPad, Ouya et Android Le jeu le plus sexuel du monde. Le but est de “satisfaire” votre tablette, cet objet intime.

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Serge Bozon et Rosalba Torres Guerrero par Renaud Monfourny

Incroyables interprètes du moyen métrage burlesque de Yann Le Quellec, Je sens le beat qui monte en moi, qui accompagne la sortie de son autre film Le Quepa sur la vilni !, en salle le 12 février.

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Author: Fr. Dewey Fisher

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Name: Fr. Dewey Fisher

Birthday: 1993-03-26

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Introduction: My name is Fr. Dewey Fisher, I am a powerful, open, faithful, combative, spotless, faithful, fair person who loves writing and wants to share my knowledge and understanding with you.